La portée de l’événement prévu pour le 1er Décembre 2024 au Sénégal va bien au-delà de cet endroit qui pour des élites de notre continent doit incarner désormais le début du processus de la construction du renforcement de notre dignité et de la considération que le monde entier nous doit. Les africains se convainquent en effet au fil des années, que les souffrances vécues par leurs parents du fait de la traite négrière, de la colonisation et de la condescendance méprisante qui est poursuivie encore à leur endroit dans la gouvernance du monde ne peuvent les laisser indifférents. Personne n’est anti occident comme on tente de le prêter aux mouvements auxquels nous assistons un peu partout actuellement dans plusieurs pays en Afrique. C’est pour cela qu’il faut considérer la décision de la France de reconnaitre les tirailleurs massacrés à Thiaroye le 1er décembre 1944 comme « morts pour la France » importante, malgré ses limites. Elle fait partie du nouveau contexte des relations entre la France et ses anciennes colonies.
Il faut y associer la déclaration le 1er octobre 2024 de la hiérarchie de l’Église catholique relativement à sa position dans la traite négrière. On se rappelle de la Bulle du Pape Nicolas V du 8 janvier 1454 qui a eu pendant des siècles des conséquences désastreuses sur les Africains ». Akam AKamayong dans un article avec pour titre « le 8 janvier 1454, l’Église catholique et le Pape Nicolas V bénissent l’esclavage et la traite négrière » rapporte : « L’Église catholique a joué sur un triple registre négrier, en co-produisant une idéologie de légitimation de la traite et de l’esclavage des Africains et de leurs descendants ; en s’impliquant directement dans le partage des prédations négrières ; enfin en étant bénéficiaire économique et confessionnel de la traite négrière ».
L’autre évolution est venue le 26 octobre 2024 des îles Samoa en Océanie où s’est tenu le 75ème sommet du Commonwealth. A l’occasion, les participants ont reconnu que le « temps est venu » de discuter de l’héritage de la traite négrière. Plusieurs anciennes colonies souhaitent en effet « que le Royaume-Uni et d’autres puissances européennes versent une compensation financière pour l’esclavage ou qu’elles fassent au moins amende honorable sur le plan politique ». On estime que la Grande-Bretagne a fait venir environ 3 millions de personnes, principalement d’Afrique de l’Ouest vers ses colonies des Caraïbes et des Amériques pour y cultiver du tabac, du coton et du sucre. Ces produits auraient aidé la Grande-Bretagne à faire fortune et lui auraient permis de faire avancer la révolution industrielle. Un extrait de la déclaration du 75ème Sommet du Commonwealth est bien explicite à ce propos : « Les pays membres du Commonwealth, dont la majorité partage les mêmes expériences historiques de ce commerce odieux de l’esclavage, de la colonisation et de la dépossession des peuples indigènes, reconnaissent l’importance de cette question…il est temps d’ouvrir la discussion sur ces torts et sur les perspectives d’un avenir commun basé sur les principes d’équité ».
Aussi, la commémoration de ce qu’on peut qualifier de la tragédie de Thiaroye 80 ans après est vue par beaucoup dans un contexte plus global de prise de conscience collective, expression du réceptacle de tous ces mouvements qui dénoncent les douleurs ancestrales et en même temps l’engagement de beaucoup parmi nous à appeler au refus de continuer de subir.
Il sera désormais bien difficile de cacher les véritables faits : l’Administration coloniale française a frappé un grand mauvais coup le 1er décembre 1944 à Thiaroye et malgré cette tragédie et la douleur pour les concernés, elle a continué à envoyer des tirailleurs en Indochine et en Algérie.
Quoiqu’il en soit et quelque soit le lieu, les traitements et les humiliations restent les mêmes, par exemple faire faire aux noirs des travaux bien au-delà de la force humaine ; ce qui a eu des conséquences bien négatives sur leur santé une fois de retour dans leur pays. Des résultats des récits reçus de nos enquêtes de terrain pour la circonstance de la commémoration, et des photos qui témoignent encore plus, il a été émouvant pour nous de remarquer le sens de solidarité des tirailleurs entre eux et mêmes avec leurs collègues blancs ; ce qui explique les photos d’ensemble vues.
Que dire de cette autre photo qui fait croire à des séances de préparation spirituelle pour l’accomplissement de missions périlleuses !
François Adébayo Abiola
Académie nationale des Sciences, Arts et Lettres du Bénin
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