Le Sénégal à la croisée des chemins ? Dix jours après l’annonce par le président Macky Sall de reporter la présidentielle, le mécontentement au sein de la société civile ne faiblit pas, mais il peine à s’exprimer. Une marche prévue, mardi 13 février, à Dakar a été interdite, mais la plateforme de la société civile Aar Sunu Élections, à l’origine de ce rassemblement, promet de mobiliser de nouveau.
Le mouvement citoyen Aar Sunu Élections promet une nouvelle marche silencieuse ce samedi 17 février. Avec un nouvel itinéraire dans Dakar, validé cette fois avec la préfet de la capitale qui avait interdit celle prévue mardi 13 février. Un rassemblement pour dire son refus du report de la présidentielle et demander aussi de revenir au calendrier électoral initial, comme l’explique le chercheur Elimane Kane, l’un des membres fondateurs de cette plateforme, qui comprend plus d’une cinquantaine d’organisations de la société civile en son sein.
« C’est au président de la République de se remettre en cause, de se rendre compte que c’est une grande forfaiture qu’il est en train de faire, une grande trahison au peuple sénégalais, et donc de reculer et de retirer tout simplement ses textes qu’il avait posés, pour permettre que le calendrier républicain reprenne son libre cours. L’élection peut se tenir. Il faut se rattraper sur quelques dizaines de jours perdus sur la campagne électorale. Ou bien, si on n’arrive pas à faire tout jusqu’au 3 avril, il faudra qu’il quitte et permettre au président de l’Assemblée nationale de poursuivre jusqu’à ce que soit élu le nouveau président », juge le chercheur.
Le chercheur partage son désir de revenir à ce qui était prévu, mais pour l’heure, le président Macky Sall ne montre aucun signe ou volonté de faire marche arrière par rapport à sa décision de reporter la présidentielle. Il semble plutôt tenter des mesures de décrispation ces derniers jours. Exemple avec la télévision privée Walf TV dont le signal avait été coupé. La chaîne a finalement été rétablie lundi 12 février.
Beaucoup parlent aussi de mesures d’apaisement qui pourraient être annoncées, notamment la libération de prisonniers politiques, possiblement adoptée en Conseil des ministres ce mercredi soir. Mais pour l’instant, rien n’a encore été annoncé.
Certaines figures de la société civile comme Alioune Tine confirment faire l’intermédiaire entre le président Macky Sall et l’opposition, et s’efforcent de trouver un canal de discussion. « On travaille tous les jours pour apaiser la situation du pays, libérer les détenus politiques et trouver un consensus », a déclaré Alioune Tine à notre correspondante. La possibilité de libérer l’opposant numéro un du pays, Ousmane Sonko, est aussi sur la table, selon lui.
Multiplication des appels au calme
Dans le même temps, les appels au calme et au dialogue s’enchaînent. Mardi, le chef de la communauté religieuse des Tidianes, figure importante dans le pays, a appelé à la retenue et a encouragé les acteurs politiques à privilégier le dialogue pour faire face à la situation « très tendue » qui domine au Sénégal.
Aussi, il convient de noter les déclarations de deux anciens présidents qui ont précédé Macky Sall, Abdou Diouf et Abdulaye Wade, qui eux aussi demandent aux Sénégalais d’avoir recours au dialogue, et actent le report au 15 décembre de la présidentielle
Pourtant, les autorités n’ont jusqu’ici autorisé aucun rassemblement pour protester contre ce report. Mardi, l’internet mobile était même de nouveau coupé, pour la deuxième fois en huit jours. Signe que la situation est toujours crispée au Sénégal.
Décision attendue du Conseil constitutionnel
Dans ce contexte, le Conseil constitutionnel, dernier rempart institutionnel pour tous ceux qui s’opposent à ce report du scrutin présidentiel, doit rendre une décision très attendue par l’ensemble des Sénégalais. Les candidats de l’opposition ont saisi ce Conseil la semaine dernière pour qu’il établisse si la loi actant le report de la présidentielle au 15 décembre prochain respecte ou non la Constitution ou non.
Leur argument : en décalant l’élection et en maintenant Macky Sall au pouvoir au-delà de son mandat, qui devait prendre fin le 2 avril, cette décision viole la Constitution puisque cette dernière verrouille et interdit toute révision du nombre et de la durée du mandat du président. Le Conseil constitutionnel détient un mois pour statuer.
Antony Blinken inquiet de la situation politique du pays
De son côté, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a de nouveau exhorté le Sénégal à tenir des élections « aussi vite que possible », à rétablir le calendrier électoral du pays et le calendrier de la transition présidentielle conformément à la Constitution, après avoir parlé au président Macky Sall la veille. Au cours d’un entretien téléphonique, il lui a fait savoir les graves préoccupations américaines au sujet de la situation politique actuelle du Sénégal, rapporte notre correspondant à Washington, Guillaume Naudin.
Antony Blinken a également fait part de son inquiétude quant au risque d’une plus grande instabilité nationale et régionale à la suite des événements récents. Le secrétaire d’État américain revient tout juste d’une tournée en Afrique. En passant par le Cap-Vert, la Côte d’Ivoire et le Nigeria, il n’avait pas caché l’inquiétude américaine par rapport à la situation sécuritaire dans les pays voisins et notamment au Sahel. La dernière chose que semblent souhaiter les États-Unis, c’est un nouveau pays qui deviendrait un foyer d’instabilité au sein de la Cédéao dont ils soutiennent l’action.