le ministre béninois des affaires étrangères répond aux questions de Jeune Afrique : « Shegun Bakari: Nous savons que les exigences passées ne sont pas réalisables »

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Shegun Bakari: « Le Bénin a fait le choix d’une diplomatie décomplexée » ( In Jeune Afrique)

Depuis juin 2023, il est le nouveau visage de la diplomatie béninoise. Entrepreneur prospère, Shegun Adjadi Bakari incarne le dynamisme que Patrice Talon a voulu donner au développement du Bénin et à sa diplomatie économique. Il n’est pas pour autant un novice en politique. Soutien d’Abdoulaye Bio Tchané lors de la présidentielle de 2016 – ce dernier est depuis devenu un pilier de la majorité de Patrice Talon –, Shegun Bakari a un temps été le conseiller du président togolais, Faure Essozimna Gnassingbé, avec rang de ministre.

Il a hérité d’une situation politique volatile au sein de la sous-région. Partisan de la fermeté à l’égard des putschistes, le Bénin s’est d’abord positionné en première ligne face aux militaires qui se sont emparés du pouvoir par la force et, en particulier, dans le bras de fer qui a opposé la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) aux tombeurs du chef de l’État nigérien, Mohamed Bazoum. Une position que le Bénin s’est finalement résolu à assouplir, au profit du rétablissement des relations entre le Bénin et ses voisins putschistes, comme l’a fait savoir le président Patrice Talon dans son discours annuel à la nation ce jeudi 21 décembre.

Comment Shegun Bakari navigue-t-il dans ces eaux parfois troubles ? Il a répondu aux questions de Jeune Afrique.

Jeune Afrique : Votre profil, essentiellement économique, correspond aux priorités que Patrice Talon a fixées au pays. Votre mission est-elle surtout axée sur la diplomatie économique ?

Shegun Bakari : Dès 2016, le président a été très clair s’agissant des objectifs du Programme d’actions du gouvernement [PAG]. Notre diplomatie se concentre avant tout sur l’amélioration des conditions de vie des Béninois. Mon rôle est de participer, à mon échelle, à cette action, qui vise à faire du Bénin un acteur majeur de la scène sous-régionale et internationale, notamment par le biais de ses objectifs de développement.

Le travail de votre prédécesseur, Aurélien Agbénonci, pâtissait, dit-on, de son manque de coordination avec le ministre de l’Économie et des Finances. Comment travaillez-vous avec Romuald Wadagni ?

Je ne sais rien de ce que vous avancez sur les relations entre MM. Agbénonci et Wadagni. Ce que je puis dire, c’est que le travail ministériel est une course de relais : chacun fait sa part avant de passer le témoin. L’important est d’assurer la continuité de l’action, ce qui est le cas. C’est un honneur de s’inscrire dans les pas de mon grand frère Aurélien Agbénonci.

Vous héritez d’une situation tendue, dans la sous-région, où les coups d’État se multiplient…

Non seulement la résurgence, dans notre espace communautaire, d’accaparement ou de tentatives d’accaparement du pouvoir par les armes ébranle nos valeurs démocratiques, mais elle met à mal notre marche vers le développement. Pour ces deux raisons, la position du Bénin est simple. Elle consiste à s’opposer à toute prise de pouvoir par la force. C’est le fruit de notre histoire, et, surtout, il s’agit des règles que nous avons fixées ensemble.

N’avez-vous pas, justement, le sentiment qu’une partie des populations ouest-africaines ne veulent plus de ces règles, fixées par la Cedeao, voire qu’elles rejettent cette organisation sous-régionale ?

Je ne pense pas que ces populations puissent être favorables à des circonstances qui conduisent à l’aggravation de la pauvreté. Les chiffres sont là. On sait que le corollaire de ces coups d’État est une hausse sensible de la pauvreté.

Pourtant, nombre de Maliens, de Burkinabè, de Guinéens et de Nigériens soutiennent les juntes de leur pays…

À mon sens, il s’agit surtout de l’expression d’une quête de bonne gouvernance. La classe politique doit prendre en compte ce facteur, et travailler en ce sens.

Le 10 décembre, la Cedeao a mis sur pied un comité chargé de négocier avec la junte nigérienne. L’objectif est d’élaborer une feuille de route qui mette rapidement fin à la période de transition. Le rétablissement de Mohamed Bazoum dans ses fonctions n’est-il donc plus d’actualité ?

Voilà quatre mois que le coup d’État a eu lieu, et quatre mois que nous sommes dans l’impasse. Il nous faut être réalistes, et revoir nos exigences. Le gouvernement du président Bazoum a été renversé, c’est un état de fait. Il nous faut sortir de cette situation, aller de l’avant. Et, pour cela, négocier avec le CNSP [Conseil national de sauvegarde de la patrie] un retour rapide à l’ordre constitutionnel.

Nous savons que les exigences passées ne sont pas réalisables, mais nous avons un minimum [d’objectifs] à atteindre : la libération de Mohamed Bazoum, de sa famille et des membres de son gouvernement. C’est un geste fort qui est attendu de la part du CNSP si l’on veut se diriger vers des négociations et, à terme, vers une levée graduelle des sanctions.

Alors que la médiation dans laquelle elle s’était engagée avec la Cedeao semblait au point mort, la junte nigérienne a multiplié les rencontres avec les autorités togolaises. Lomé se montre-t-il trop conciliant vis-à-vis des régimes militaires ?

En diplomatie, il faut laisser toutes les portes ouvertes. Il est essentiel qu’il y ait toujours des canaux qui permettent de maintenir le dialogue. Le Togo fait partie de la Cedeao et participe activement au rétablissement de la stabilité dans la sous-région.

Il faut par ailleurs préciser que la Cedeao n’est pas en guerre contre le Niger, qui est un pays frère, et que la position du Togo, qui va dans le sens de la négociation, n’est pas différente de celle de l’organisation.

On ne peut que constater le net réchauffement de vos relations avec le Nigeria, qui ont longtemps été tendues…

Le Bénin et le Nigeria ont une importante histoire commune. Comme le dit souvent le président Patrice Talon, ils sont des « jumeaux siamois ». Aujourd’hui, Patrice Talon et Bola Tinubu font preuve d’une volonté politique très marquée et d’un alignement parfait. Cela tient, notamment, à l’amitié qu’ils éprouvent l’un pour l’autre.

Le sentiment anti-français se répand dans la région, y compris au Bénin. Faites-vous partie de ceux qui estiment qu’il faut repenser la relation avec Paris ?

Au Bénin, nous assumons pleinement nos relations avec la France – qui sont apaisées –, comme nous assumons notre amitié avec la Chine ou l’Arabie saoudite.

Notre pari d’une diplomatie décomplexée nous permet de renforcer nos relations avec nos partenaires historiques tout en développant des relations dynamiques avec de nouveaux partenaires. Dans un monde polarisé, les relations multilatérales ont toujours été sous-tendues par des rapports de force. Mais le Bénin s’appuie sur ses choix personnels, et personne ne lui dicte la position à adopter.

La menace jihadiste est aux portes du Bénin et frappe déjà le nord du pays. Envisagez-vous de diversifier davantage encore vos partenariats militaires ?

La situation est en effet préoccupante, même si, au Bénin, la menace est contenue grâce au rôle capital de nos forces de défense et de sécurité, qui font en sorte que le territoire national soit préservé.

En matière militaire, le Bénin travaille avec des partenaires de tous horizons. Avec l’Europe, la France, la Chine, les États-Unis, les Émirats arabes unis ou encore avec ses partenaires sous-régionaux de la Cedeao. Nous ne nous interdisons aucun partenariat pour assurer la sécurité de notre pays.