La limitation du nombre de mandats présidentiels est cruciale pour la stabilité de l’Afrique de l’Ouest et la Cédéao doit donc s’investir de manière plus franche dans la lutte contre les manipulations destinées à maintenir des chefs d’État au pouvoir. C’est le message qui est au cœur du dernier rapport de l’organisation africaine Tournons la Page. L’étude propose des recommandations pour protéger la démocratie dans les pays africains, explique David Dosseh, coordonnateur de Tournons la Page pour le Togo.
Le point de départ de ce rapport, c’est un constat qui a été fait à plusieurs reprises par les sociétés civiles africaines. L’organisation régionale ouest-africaine, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) parvient à condamner les prises de pouvoir des militaires, mais elle a plus de difficultés à condamner toutes les manœuvres qui visent à contourner la limitation des mandats…
David Dosseh : C’est une réalité. Tout le monde constate effectivement que lorsqu’il y a un coup d’État, les sanctions sont immédiates, elles sont très dures, elles sont même dures à l’endroit des populations alors que lorsqu’il y a un coup d’État constitutionnel ou un coup d’État électoral, la Cédéao est incapable d’apporter une réponse satisfaisante.
Quels sont les pays en Afrique de l’Ouest qui illustrent le plus ce décalage ?
Je peux citer le cas du Togo. À la mort du général Gnassingbé Eyadéma, nous avons vu les militaires apparaître à la télévision et décider de confier le pouvoir à l’un de ses enfants, c’est le président actuel [Faure Gnassingbé, NdlR]. Et bien sûr, cela s’est fait contre les dispositions constitutionnelles. Au-delà du Togo, vous avez la Côte d’Ivoire où les dispositions constitutionnelles limitaient les mandats à deux. Mais il suffit de dire qu’on a changé la Constitution et cela semble-t-il permet aux chefs d’État en place de remettre à zéro le compteur et de dire que c’est le premier mandat de la nouvelle République. Vous avez le cas de la Guinée où le président Alpha Condé s’est entêté, en dépit des demandes populaires qui étaient fortes, pour qu’il limite son pouvoir à deux mandats. Il a fait un véritable forcing et la Cédéao a avalisé ce qui s’était passé en Guinée. Il a fallu qu’il y ait un coup d’État militaire pour mettre fin à la forfaiture perpétrée par le président Alpha Condé.
Le texte que publie Tournons la page établit un rapport entre le recul de la limitation du nombre de mandats et l’instabilité dans la région ouest-africaine. Quel est ce lien précisément ?
Lorsque les présidents décident de contourner la limitation de mandats, c’est qu’ils ont décidé de monopoliser et de confisquer le pouvoir avec toutes les conséquences délétères que l’on connait : la corruption, puisque ce système a besoin de ressources pour entretenir ses courtisans ; il faut contrer les systèmes de contrepouvoir, la société civile qui tient à dénoncer certaines situations, il faut la museler ; les partis politiques d’opposition qui veulent venir au pouvoir, il faut les empêcher d’arriver. Et donc, on est obligé de recourir à des situations où la justice est instrumentalisée. On a une restriction de l’espace civique et cela entraîne de vrais conflits sociaux.
Ce que vous dites, c’est que la non-limitation du nombre de mandats est le point de départ d’une sorte de délitement de la culture démocratique dans un pays ?
C’est une évidence. Cela entraîne un vrai délitement de la démocratie avec des violations fréquentes et flagrantes des droits humains.
Le rapport, qui est présenté par Tournons la page, insiste sur le rôle que la Cédéao devrait, pourrait jouer par rapport à cette limitation du nombre de mandats. Il insiste notamment sur cette difficulté de la Cédéao à condamner ceux qui contournent la limitation de mandats. Est-ce que cette difficulté s’explique uniquement par des raisons politiques ou est-ce que les textes mêmes de l’organisation l’entravent de ce point de vue-là ?
Les textes existent, ils ne vont pas assez loin et ils ne sont pas contraignants. Et c’est ce que nous, nous voulons aujourd’hui, demander à la Cédéao en termes de réformes indispensables si elle veut véritablement consolider la démocratie dans notre espace communautaire. La Cédéao doit se dire que désormais, en Afrique de l’Ouest, aucun chef d’État ne fera pas plus de deux mandats, quels que soient les subterfuges politico-juridiques mis en branle par ce chef d’État, par ce régime. Et là, je prends peut-être l’exemple de la formule de la République du Bénin qui dit que dans une vie, on ne peut pas faire plus de deux mandats. Ça, c’est important pour aider à véritablement enraciner la démocratie. Et cet enracinement de la démocratie se fera à travers la culture de l’alternance démocratique.