« Le Bénin ne finira jamais de nous étonner ». Propos de l’ancien président Nicéphore Soglo qui se prononçant sur les derniers développements de l’actualité politiques au Bénin conclut qu’il « faut en définitive se réjouir de ce grand débat démocratique où finalement il n’y a ni vainqueur ni vaincu, et où il faut faire confiance au miracle permanent dont notre peuple est coutumier ». Lisez l’intégralité de sa déclaration.
Déclaration du président Nicephore Dieudonné SOGLO
Béninoises et Béninois, chers compatriotes
C’est avec gravité et lucidité que je tire les leçons des derniers développements politiques dans notre pays. Grande est ma déception devant le travail de Pénélope (un nom à la mode), c’est-à-dire le perpétuel recommencement auquel se livre notre pays depuis des décennies. Nous étions, il y a un an, gonflés d’espoir au lendemain des élections. On se croyait revenu en 1990 sous la Transition. Mais après un bon départ, la machine s’est soudainement grippée. Et pour beaucoup, dès lors, le cœur n’y était plus ; pour les multiples raisons que nous connaissons tous.
Le Président TALON a maintenant quatre ans pour redresser la barre. Il doit remettre le pays au travail en mettant le cap sur le développement économique et social. Il doit surtout finir de panser les plaies du fracassant divorce qui l’a opposé à son ancien associé et ami (n’avait-il pas, ne l’oublions jamais, formé le premier gouvernement du ‘’changement’’ et financé le fameux K.O. aux élections de 2011 ?). Il doit à présent, comme il l’a dit lui-même, faire enfin de la politique c’est-à-dire, écouter le peuple : toutes les voix, pas uniquement celle de son « cabinet de l’ombre » (le shadow cabinet) : vox populi, vox dei oblige. Les leçons de certaines défaites, ne sont-elles pas parfois l’antichambre de futures victoires ?
Mais le peuple reste notre souverain, le socle d’où tout part et où tout aboutit dans une démocratie directe comme la Suisse ou dans une démocratie représentative comme la nôtre.
Faut-il encore rappeler que c’est le peuple qui élit les conseillers de village, de quartier de ville, conseillers municipaux, députés, qui à leur tour, choisissent leur exécutif : chef de village, chef de quartier de ville, maires et Président d’Assemblée nationale. C’est toujours ce même peuple qui élit dans nos pays le Président de la République qui devient Gouverneur dans un état fédéral comme le Nigéria notre grand voisin, sans oublier le Président de cette fédération et les organes législatifs que sont le Sénat et la Chambre des représentants. Tous doivent travailler la main dans la main avec des compétences et des prérogatives clairement définies, de préférence, par la constitution. Il est anormal qu’un Préfet se conduise comme un proconsul devant les élus du peuple.
Quel est donc ce puissant souverain qui est à la source de toute légitimité ? Ce sont simplement tous nos nationaux de l’intérieur comme de l’extérieur ; et d’abord :
Les éternels oubliés : paysans et artisans qui représentent la majorité dans nos nations. C’est la raison de ma présence tout récemment encore aux côtés de SASAKAWA et de Songhaï, sans oublier ma visite au Salon de l’Agriculture Porte de Versailles. Personne, dans ce pays n’a oublié la « Fête des Paysans » ; puis,
Les partis politiques : qui ont pour vocation d’écouter, d’aider, d’informer et d’encadrer le peuple. Mais ils doivent, eux aussi, s’habituer à la démocratie. Car de passer du parti unique au multipartisme intégral, comporte des risques de régionalisme que l’on peut facilement exacerber et même de balkanisation. Des pays comme l’Espagne n’y échappent pas.
Les syndicats, ordres et associations : qui doivent défendre les intérêts des travailleurs ou de leurs adhérents.
Les grandes religions : sans exception dont chacun connait le rôle et pour finir,
Les institutions traditionnelles et la société civile qui sont nos vigies c’est-à-dire nos chiens de garde.
Il faut sans cesse les consulter et ne jamais oublier qu’on est souvent plus intelligent à plusieurs que seul.
Mais, avant d’aborder, officiellement pour la première fois, la brûlante question de la révision de notre constitution, pouvons-nous oublier, qu’il y a un an à peine, – et cet anniversaire, cette victoire, cet enthousiasme populaire sont passés cette année dans le silence et l’indifférence général : c’est un signal. Car l’an dernier le pays de Béhanzin, de Bio Guéra, de Kaba … a dû se mobiliser comme jadis nos vaillantes amazones pour faire échec à la Françafrique qui proclamait, sans rire, que ‘’l’Afrique appartient à l’Europe’’ ? La Françafrique voulait, tout simplement, accorder l’impunité aux responsables de l’un des régimes, que nous avions porté sur les fonts baptismaux. Tablant sur notre intégrité surtout depuis l’affaire Kovacs (ma première rencontre avec la Françafrique), le chef du régime du ‘’changement’’ avait conclu avec nos formations politiques, La Renaissance du Bénin et ses alliés, un ‘’protocole portant partenariat politique’’ ; mais qu’il fallait sur les conseils de Paris, m’a-t-il avoué, de jeter aux orties au lendemain de notre victoire. Ce fut, pour moi, je l’avoue, un choc difficile à digérer. Après quoi, ce régime deviendra progressivement, et pour notre malheur, l’un des plus gangrénés par la corruption dans l’histoire de notre pays. Nous subissons encore dans notre vie quotidienne les séquelles des nombreux scandales qui ont jalonné son parcours. Ces stigmates ont pour noms :
L’affaire CEN-SAD : qui a servi de prétexte à la distribution généreuse des biens du domaine public de l’Etat, dont la mise en valeur, a permis à quelques privilégiés de faire fortune.
L’affaire Maria Gléta : un projet d’énergie de 50 milliards engloutis dans un gouffre sans fond par le gouvernement d’alors.
L’affaire des machines agricoles : l’acquisition dans des conditions douteuses et à des coûts très onéreux, de machines agricoles dont l’achat a été dénoncé en son temps par le député Janvier YAHOUEDEHOU.
La disparition d’un don hollandais de 3 milliards de FCFA pour l’eau potable et géré par un ministre, qui a depuis, trouvé refuge à l’Assemblée nationale, pour ne pas répondre de ses actes devant les tribunaux. On comprend dès lors, le discrédit jeté depuis sur notre organe législatif.
L’interminable construction, au bord d’un fleuve, du palais de l’Assemblée nationale pour un coût de plus de 14 milliards de FCFA ; et pour couronner le tout,
L’affaire ICC-Service : la plus vaste escroquerie financière de l’histoire de notre pays : 211,500 milliards de FCFA d’après le rapport du FMI, rien que pour la partie visible de l’iceberg.
C’était le dernier filet social qui disparaissait. Le gouvernement avait depuis longtemps, par pure démagogie électorale, populisme, poussé à la ruine le secteur des microcrédits, un système génial : c’était la banque du secteur informel : celle des petits artisans, tailleurs, garagistes, vendeurs des rues etc… Les « tontiniers » pouvaient mobiliser en un temps record 500 millions. C’était un club fermé, où n’entrait pas qui voulait. Leur taux de récupération des crédits était de 100%. Car ils avaient mis en place un système d’assurance au cas où une personne viendrait à faire défaut. Aussi, Hercule (mon surnom à l’époque) les couvait-il, comme la prunelle de ses yeux surtout au moment où la BCB « Banque Commerciale du Bénin », la plus grande banque d’état, avait (tout comme la BBD « Banque Béninoise de Développement » ou la CNCA « Crédit National pour le Commerce et l’Artisanat » les deux autres banques publiques) déposé son bilan après avoir engloutie plus de 40 fois son capital. Le système bancaire était en total déliquescence avec 114 milliards de francs CFA de dettes, livré aux pillages d’hommes tristement célèbres comme le tout puissant marabout Cissé le Raspoutine béninois. Un ministre d’Etat analphabète.
Aussi, devant le désastre, du régime du changement, qui réveille en nous de si douloureux souvenirs, l’urgence, comme l’a, très justement, souligné mon épouse, la doyenne de notre Assemblée nationale, c’est la misère du peuple, rongé, après un tel calvaire, par la famine et la maladie. « primum vivere, deinde philosophare » : il faut vivre (sinon survivre) avant de songer à philosopher ou plus simplement, ventre affamé n’a pas d’oreille.
Quant à la révision de la constitution, il n’était pas raisonnable, c’est ma conviction profonde, de changer près d’un quart des articles de notre loi fondamentale sans donner la parole au peuple ; surtout dans un pays aussi rebelle que le nôtre, qui a vu défiler, sous la colonisation, tant de gouverneurs.
La constitution est, après tout, la pierre angulaire d’une nation, le pilier sur lequel repose l’édifice. Elle ne devrait donc pas être soumise aux aléas politiques sans que l’on n’entre alors dans une nouvelle république comme c’est le cas récemment en Côte d’Ivoire.
En outre, comme l’a très justement rappelé la ministre Réckya MADOUGOU, dont on connait la farouche opposition aux révisions opportunistes des derniers mandats de Mathieu KEREKOU et même de YAYI Boni, la cour constitutionnelle, saisie de plusieurs recours, avait le 7 juillet 2006, rendu la décision Dcc 06-074 qui, très raisonnablement à notre avis, érige le consensus à valeur consensuelle pour toute révision. C’était semble-t-il, la promesse du candidat Patrice TALON. Car il faut se méfier, même s’il figure, sur la liste de nos mentors, de ceux qui croient que les promesses électorales n’engagent que les naïfs qui y croient. Mais pour les peuples, la parole d’un chef est sacrée.
De plus, l’ancienne ministre et le Professeur Maurice AHANHANZO GLELE l’un des pères de la constitution de notre pays, s’inquiétaient aussi de ce qu’ils qualifiaient d’incongruités, notamment la mainmise du Président de la République sur la ratification de certaines conventions au détriment de l’Assemblée nationale. Or chacun sait, depuis Jean sans Terre, et La Grande Charte de 1215, qui est à l’origine de la naissance des parlements modernes et de leurs pouvoirs, – ça ne date donc pas d’hier, que la démocratie est chatouilleuse à propos des fameuses ‘’libertés anglaises’’ : c’est-à-dire, l’Habeas Corpus, l’interdiction d’arrêter les hommes sans jugement, si ce n’est en vertu d’un jugement légal par ses pairs et selon la loi du pays, et le principe que le parlement seul a le droit de consentir les impôts nécessaires à la marche du royaume. Et puis quelle idée saugrenue d’introduire Ségbana, l’Archipel du Goulag, ou Guantanamo dans la constitution avec la création d’un Conseil National de Renseignement ? La Françafrique, la CIA ou le KGB ne figurent tout de même pas, à notre connaissance, dans les constitutions de la France, des Etats-Unis d’Amérique ou de l’Union Soviétique. Et l’on se proposait après cela, de supprimer d’un trait de plume, le Conseil Economique et Social au lieu simplement, de la Haute Cour de Justice ? Ce n’était pas raisonnable. Quant à l’impunité qui a déchainé tant de passions, les grandes démocraties devraient tout simplement nous servir de modèle. C’est le bon sens ; car en France, ce sont des tribunaux ordinaires qui ont pris en charge, à leur sortie de fonction, les dossiers des Présidents CHIRAC et SARKOZY, sans oublier ce que nous montre actuellement avec l’affaire FILLON et autres, la campagne présidentielle française, dans l’Hexagone. Toutes ces questions méritaient un débat à tête reposée. Car la constitution n’appartient tout de même pas à une élite (telle cette commission de 50 membres gratifiée chacun de dix millions soit au total 500 millions), ni même uniquement à 83 parlementaires élus, qui sont là, grâce à l’onction populaire, mais à chaque citoyen et cette vérité il ne faut jamais l’oublier. Tout cela est désormais derrière nous. On l’a, finalement, échappé belle quand on sait ce qui s’est passé notamment au Burkina Faso.
Mais que c’était triste et pathétique de voir ces gesticulations et ces dénégations pitoyables devant des pratiques, somme toute, normales dans le monde des affaires. C’est l’ADN du secteur privé, avec le profit comme l’a si bien montré le grand économiste américain Thorstein VEBLEN dans son ouvrage La société sauvage. Où tous les coups sont permis. C’est un monde de fureur et de violence, profondément hostile à la hiérarchie imposée par le nom et la naissance, mais où l’argent était le symbole de la consécration sociale. La fin justifiait les moyens. C’est le monde de VANDERBILT, de Pierpont MORGAN, de SCOTT, de CARNEGIE, de GOULD, de ROCKFELLER, de FORD etc. Tromper et tondre l’investisseur allait de soit. C’était au public de faire attention (comme pour ICC-Service). Les seigneurs de la finance écrasaient le public. Et dans les surprises parties, on enroulait des cigarettes, devinez quoi, avec des billets de cents Dollars pour avoir l’excitation de fumer la richesse. Leur travail était totalement prédateur. Ils s’emparaient des richesses par la force ou la ruse. Et il a fallu Theodore ROOSEVELT et la Cour Suprême pour mettre, sans ménagement, de l’ordre dans cette jungle féroce.
C’est dire ma fierté devant le courage et le patriotisme de nos parlementaires, mon épouse en tête, qui ont, sauvé l’honneur du Parlement et ainsi, celle de notre patrie. Je m’incline enfin, avec respect et admiration devant la formidable mobilisation et la vigilance de notre vaillant peuple. Le Chef de l’Etat, qui connait son monde, a heureusement tiré, sans trop d’amertume, la leçon de tous ces événements pour mettre enfin, le cap sur la lutte contre la faim et le chômage, c’est-à-dire, le développement économique, agricole, commercial et social de notre pays.
Il faut en définitive se réjouir de ce grand débat démocratique où finalement il n’y a ni vainqueur ni vaincu, et où il faut faire confiance au miracle permanent dont notre peuple est coutumier. Le Bénin ne finira jamais de nous étonner.
Je vous remercie.