Interdiction de délivrance des actes  aux personnes recherchées par la justice : La Cour africaine condamne le Bénin et ordonne l’abrogation de l’arrêté

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La Cour africaine a ordonné, dans un arrêt rendu le mardi 13 juin 2023, à l’Etat béninois d’abroger l’arrêté interministériel n°023/MJL/DC/SGM/DAPCG/SA/023SGG19 du 22 juillet 2019 portant interdiction de délivrance des actes de l’autorité aux personnes recherchées par la justice du Bénin. Selon la juridiction d’Arusha, les dispositions de cet arrêté violent le droit à la présomption d’innocence et le droit à la nationalité, protégés par la Charte africaine des droits de l’homme et la DUDH, selon l’arrêt de la Cour.

La Cour africaine a rendu son arrêt  ce mardi 13 juin 2023, suite à une requête introduit par un citoyen béninois contre l’arrêté interministériel du 22 juillet 2019 portant interdiction de délivrance des actes de l’autorité aux personnes recherchées par la justice du Bénin. Dans son arrêt , la juridiction d’Arusha demande à l’Etat béninois d’abroger l’arrêté en question.

Selon la requête introduit par le requérant, le lundi 22 juillet 2019, le ministre de la Justice et de la Législation et celui de l’Intérieur et la Sécurité publique du Bénin ont pris un arrêté interministériel intitulé « arrêté du 22 juillet 2019 » dont l’article 3 porte interdiction de délivrance des actes de l’autorité, à savoir les actes cités de façon non limitative par l’article 4 dudit arrêté aux personnes recherchées par la justice du Bénin.

Selon le Requérant, cet arrêté viole le droit à la présomption d’innocence et le droit à la nationalité. Il a donc saisi, le vendredi 16 août 2019, la Cour constitutionnelle du Bénin d’un recours en inconstitutionnalité dudit arrêté. Par décision DCC 20-512 du 18 juin 2020, la Cour a rejeté le recours, rappelle le requérant. Dans sa requête, il souligne aussi que la présomption d’innocence est un droit fondamental de l’être humain, consacré par l’article 7(1)(b) de la Charte des droits de l’homme et l’article 17 de la Constitution du Bénin. Il soutient qu’en “décidant de ne pas délivrer les actes de l’autorité aux personnes recherchées par la justice, conformément à l’arrêté du 22 juillet 2019 alors même que lesdites personnes ne font pas l’objet d’une condamnation définitive, l’État défendeur viole le principe de la présomption d’innocence”.

Par ailleurs, le Requérant a allégué que « la non-délivrance des actes de l’autorité à des personnes condamnées est la conséquence de l’existence d’une infraction parce que cette mesure pénale constitue une sanction prise à la suite d’une procédure conforme aux règles du droit positif béninois”.

L’État béninois se défend

En réponse à la requête, les conseils de l’Etat béninois ont affirmé à la Cour africaine que le Requérant ne défère aucun différend devant elle et qu’il se contente de la saisir comme organe de remise en cause de l’arrêté du 22 juillet 2019. Par ailleurs, ils ont fait valoir qu’un individu ne peut porter un différend contre son État devant une juridiction internationale qu’après s’être adressé aux autorités judiciaires de cet État en vue de leur donner l’opportunité de réformer les effets de la décision ou du fait étatique litigieux.

Devant la Cour, l’Etat béninois soutient qu’il existe des recours judiciaires internes permettant à quiconque s’estimant lésé de faire censurer les violations éventuelles de ses droits fondamentaux. Il cite, à cet effet, l’article 827 de la loi n°2008-07 du 28 février 2011 portant code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des comptes. Il affirme que le Requérant n’a saisi aucune autorité d’une réclamation et n’a exercé aucun recours contentieux conformément à l’article précité.

Les conseils de l’Etat béninois ont ajouté que la saisine de la Cour constitutionnelle par le requérant ne peut être interprétée comme un épuisement des voies de recours en ce sens que cette voie est ouverte à tous les citoyens béninois pour effectuer un contrôle objectif sans qu’il soit besoin d’évoquer des griefs personnels et que le requérant n’a pas épuisé les recours internes ce qui rend la Requête irrecevable.

L’Etat béninois souligne également que les règles de compétence telles qu’édictées par l’article 3(1) du Protocole ne peuvent induire à la remise en cause des lois nationales ou des décisions de justice de sorte que la Cour de céans ne peut rendre un arrêt visant à remettre en cause une décision administrative d’un État. Selon l’État béninois, les demandes du requérant échappent à la compétence de la Cour. L’Etat béninois a donc conclu que la Cour doit se déclarer incompétente.

La Cour africaine ordonne l’abrogation de l’arrêté interministériel

Pour rendre son arrêt, la Cour africaine s’est basée sur l’article 7 de la Charte africaine qui dispose entre autres que : “Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend… le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que culpabilité soit établie par une juridiction compétente”. La Cour africaine souligne que la présomption d’innocence signifie que toute personne suspectée ou poursuivie pour une infraction est supposée ne pas l’avoir commise, et ce, aussi longtemps que sa culpabilité n’aura pas été établie par une décision judiciaire irrévocable.

Dans son arrêt, elle a rappelé qu’en l’espèce, l’arrêté du 22 juillet 2019 vise deux catégories de personnes. D’une part, les personnes dont la comparution, l’audition ou l’interrogatoire est nécessaire au stade préparatoire ou de jugement, d’une procédure pénale ouverte contre elles, d’autre part, les personnes ayant fait l’objet d’une condamnation uniquement exécutoire. En somme, l’arrêté concerne des personnes contre lesquelles il n’existe aucune décision pénale irrévocable, c’est-à-dire que ladite décision est toujours susceptible de recours. Ainsi, ces personnes sont présumées innocentes jusqu’à ce que les décisions rendues à leur encontre soient définitives.

« La Cour observe, en l’espèce, que la mesure de refus de délivrance des actes de l’autorité telle qu’elle résulte de l’arrêté du 22 juillet 2019 constitue en fait une mesure de contrainte faite à une personne recherchée pour la contraindre à déférer à la convocation de la justice. La Cour relève qu’à travers cet arrêté, dont les visas sont sans rapport avec les questions judiciaires, les ministres de la Justice et de l’Intérieur qui font partie du pouvoir exécutif, s’immiscent dans des attributions qui relèvent du pouvoir judiciaire », indique l’arrêt.

La Cour africaine a donc conclu que l’État béninois a violé le droit à la présomption d’innocence prévue à l’article 7 de la Charte africaine et le droit à la nationalité, prévu par les articles 5 de la Charte et 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH). En conséquence, elle a ordonné à l’État béninois de prendre toutes les mesures afin d’abroger l’arrêté interministériel du 22 juillet 2019, et ce, dans un délai de six (6) mois à compter de la signification de son arrêt.

 

S.E.