Aimé Césaire nous a prévenus : ‘‘Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte.’’ Avant que d’être éteinte. Or les gens de l’aire Aja-Tado, accrochés au Vodun, adhèrent à un principe de défiance, qui empêche le progrès et fait d’eux des morts-vivants, espèces de Zombis comme ceux d’Haïti, car le Vodun, qu’ils portent et qui les porte, suinte la stagnation et une mort rampante.
Un septuagénaire témoigne.- Lorsqu’il était enfant-de-chœur, il arrivait au prêtre de l’associer, avec d’autres, à son porte-à-porte d’évangélisation. Parfois, des hommes très âgés, 70-80 ans, encore bon-pied, bon œil, l’invitaient chez eux, pour qu’il les préparât à ‘’se mettre en règle avec Dieu’’ (sic). Acceptant la condition primordiale, ils remettaient tous leurs voduns au père Gaillard, qui les remettait au maître-catéchiste Bocovo, qui les brûlait comme objets inutiles et encombrants, devenus nuisibles. Ils en avaient assez de ‘‘tout ça’’.
Un sexagénaire témoigne.- Il y a deux ans encore (il parlait en 2016), il n’y avait pas plus grand adepte du Vodun ni plus redoutable manieur des voduns que lui. Il maîtrisait les forces de l’Invisible. Et, prière de le croire sur parole, son arsenal comportait, entre autres, deux crânes humains préposés á des missions de représailles foudroyantes. ‘‘J’étais craint.’’ Mais depuis qu’il a connu Dieu grâce à Parfaite de Banamê, il a tout laissé tomber, tout jeté à la mer, de ses propres mains, à la grande surprise de ceux qui recouraient à lui. Plus fort que le Vodun et les voduns ? Dieu ! Sa protection désormais ? ‘‘Daagbo et Grand-Frère Jésus’’ !
Fils de Ouidah, les deux témoins vivent à Ouidah. Leur cité esclavagiste, où les descendants de vendeurs et de vendus sont partout, est enrobée dans le Vodun, passe pour la capitale mondiale du Vodun, détient le siège de Daagbo-Hunon, pape du Vodun et des voduns. Faut-il alors attribuer à l’étau du Vodun et des voduns l’état de ruine de la ville et la discorde permanente qui caractérise ses enfants ? Toujours est-il que les renoncements en fin de vie rapportés plus haut n’y sont pas chose rare. Après avoir servi le Vodun et s’être servi des voduns pendant des décennies, on s’en détourne. Pourquoi cette trahison ?
Dans ‘‘Le Pacte de Sang au Dahomey’’ (1931), Paul Hazoumê répond : ‘‘Le caractère propre des peuplades dahoméennes [aire Aja-Tado] est une méfiance toujours en éveil vis-à-vis des adversaires vrais ou supposés dont tout Indigène se croit menacé. On comprendra qu’avec de telles dispositions les Dahoméens aient été portés à s’entourer de protection…’’ Voilà en effet la seule fonction du Vodun : me protéger contre l’autre, collègue, ami, parent, conjoint, les neutraliser, voire les détruire par mesure préventive. Le Vodun enragé au service de ma seule survie. Mais à force de dire et d’entendre dire ‘‘je vais confier l’affaire au Vodun pour qu’il me venge’’ ou, mieux, ‘‘mon vodun va te tuer’’, il arrive que le Dahoméen se lasse lui-même de son univers gorgé de vengeance, de sang et de mort, où l’on vénère, ente autres, le vodun Adjigo, constitué rien que de tessons de bouteille. Fatigué de la hargne du Vodun et des voduns, on s’enfuie pour se réfugier in extremis dans le christianisme.
Car l’Evangile, tout en reconnaissant que l’homme est mauvais, parie sur sa perfectibilité. Il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. Le Vodun, au contraire, enferme l’homme sur lui-même. L’homme est mauvais et ne peut qu’empirer. En cela le Vodun est mort avec l’homme qui l’adore. Il est mort parce qu’il ne propose à l’homme aucun idéal, ne le met sur aucun axe ascendant. Et Haïti est doublement terre de malheur : par sa situation géographique et par le Vodun que les Dahoméens vendus par les leurs y ont transporté sur leur dos lacéré. Le Vodun est mort, et le temps sera de s’en débarrasser dans un musée pour objets morts, inutiles et nuisibles au progrès de l’homme.