Au Nigeria, le décompte des résultats pour les élections générales, et notamment la présidentielle, tarde ce 28 février 2023, alors que le candidat du parti au pouvoir Bola Tinubu est en tête selon des résultats partiels. Les partis d’opposition des deux autres principaux candidats, le PDP d’Atiku Abubakar et le Labour Party de Peter Obi, réclament d’ores et déjà l’annulation du scrutin du 25 février et la démission du président de la Commission nationale électoral (Inec). Explications.
Le décompte des résultats de la présidentielle 2023 tarde à Abuja, ce 28 février. Le président de la Commission électorale indépendante (Inec) a repoussé à 14h heure d’Abuja, 13h en temps universel, le redémarrage de la réception des résultats État par État.
Dix États devraient présenter leurs chiffres ce mardi après-midi. Lors du dernier pointage, le 27 février à 22h, Bola Tinubu (APC) et Atiku Abubakar (PDP) étaient au coude à coude avec respectivement six et cinq États remportés. Mais Peter Obi reste en embuscade avec trois États en sa faveur.
À Abuja, au centre de collecte des résultats de la Commission nationale électorale (Inec), la journée s’annonce ainsi longue et le suspense reste entier pour cette présidentielle nigériane, relate notre correspondant Moïse Gomis.
Succès et camouflet pour Bola Tinubu, candidat du parti au pouvoir
Bola Tinubu l’a emporté en majorité dans le Sud-Ouest du pays, avec les États de Kwara, Ekiti, Ondo, Ogun et Oyo. Mais il a perdu dans l’État de Lagos où il a été gouverneur de 1999 à 2007. Certes, il a été très fair-play en reconnaissant sa défaite dans la mégapole. Mais cela reste un camouflet pour celui qui a bâti toute sa campagne sur son bilan en tant que gouverneur de Lagos. Un petit réconfort toutefois pour Bola Tinubu : il a également gagné dans l’État de Jigawa, dans le Nord du Nigeria
De son côté, Atiku Abubakar, candidat du principal parti d’opposition, est arrivé en tête dans le Nord-Est du Nigeria, dans les États de Yobe, de Gombe et d’Adamawa. Ce dernier étant son fief électoral. Il a créé la surprise en s’imposant dans l’État de Katsina, le bastion du président sortant Muhammadu Buhari. Et Atiku Abubakar a également défait Bola Tinubu dans son État d’origine, Osun, au cœur du pays Yoruba.
Enfin, le troisième homme fort de cette élection présidentielle nigériane, Peter Obi, a confirmé son ancrage dans l’Est en s’imposant à Enugu. Il a gagné dans un État voisin d’Abuja au centre du Nigeria, l’État de Nasarawa. Et Peter Obi a créé la sensation de ce scrutin en terminant en tête à Lagos, le fief de Bola Tinubu. Avec cette victoire de prestige dans la capitale économique du Nigeria, Peter Obi confirme que sa candidature n’est pas juste un témoignage. Il est bien au niveau de ses deux principaux concurrents, Bola Tinubu et Atiku Abubakar.
Pour rappel, pour gagner cette élection présidentielle au premier tour, il faut la majorité des voix au niveau national et au moins 25 % des votes dans deux tiers des 36 États, et dans la capitale Abuja.
Deux partis d’opposition demandent l’annulation du scrutin du 25 février
Malgré ces résultats, les deux principaux partis d’opposition, le PDP d’Atiku Abubakar et le Labour Party de Peter Obi, ont d’ores et déjà demandé l’annulation du scrutin et l’organisation de nouvelles élections (présidentielle, législatives et sénatoriales), au cours d’une conférence de presse, explique notre envoyée spéciale Amélie Tulet.« Ce n’est pas une déclaration plaisante, a affirmé en guise d’introduction, Iyorchia Ayu, le président du PDP.
À sa droite, le président du Labour Party, Julius Abure, a pris la parole et dénoncé au nom des partis d’opposition une falsification des résultats en train d’être annoncés : « Cette élection n’est pas libre. Elle est loin d’être juste ou transparente. Il continue à y avoir des annulations de résultats à travers le pays, en particulier dans les bastions de l’opposition, pour gonfler les résultats du parti au pouvoir, l’APC. Toutes ces annulations rendent l’élection non concluante. »
Trop d’irrégularités, absence de transparence et la non mise à disposition en temps réel des chiffres sur le portail internet promis par la Commission : tout cela doit conduire à l’annulation du scrutin et à de nouvelles élections, selon Iyorchia Ayu : « Pourquoi n’attendons-nous pas de déposer des recours après l’élection ? Parce que c’est tout le processus que nous contestons. La commission électorale s’est engagée à ce que les résultats soient transmis en direct des bureaux de vote. La commission a violé elle-même ses engagements. De plus, les irrégularités sont à grande échelle. C’est important que nous alertions les Nigérians, mais aussi la communauté internationale sur ces fraudes grossières. »
Julius Abure, président national du Labour Party, le parti travailliste du candidat Peter Obi insiste : « Un processus électoral s’enracine dans la confiance. Quand cette confiance est trahie, mieux vaut se retirer. Et c’est pour cela que nous demandons qu’il soit remplacé. Nous ne croyons plus qu’il soit assez intègre pour conduire à des élections libres, justes et crédibles. Et je dois dire ici très clairement qu’ils ont peut-être donné comme excuses des problèmes techniques. Mais le serveur a été volontairement ralenti par la Commission électorale pour que l’APC puisse manipuler les résultats et compromettre le processus. Cela met en cause la personnalité et l’intégrité du président de la Commission électorale. Voilà pourquoi nous avons perdu confiance dans son engagement à conduire un processus qui mène vers un nouveau Nigéria. Le processus électoral est un enjeu clé, c’est aussi important que le résultat de l’élection. »
Affirmant qu’ils vont aussi saisir les juridictions et qu’ils appellent au calme, les opposants nigérians demandent la démission et le remplacement du président de la Commission électorale. Ils demandent aussi au président sortant Muhamadu Buhari de s’exprimer.
« C’est une des pires élections de l’histoire du Nigeria »
Trois jours après le scrutin, les résultats définitifs se font toujours attendre et la Commission a repoussé le décompte à plusieurs reprises ce mardi. Pour Clement Nwankwo, directeur exécutif du Policy and Legal advocacy center, une ONG nigériane, comprend la demande d’annulation des élections par les deux partis d’opposition : le Parti démocratique du peuple d’Atiku Abubakar et le Parti travailliste de Peter Obi. « La Commission électorale n’a pas été capable de suivre ses propres procédures et cela a conduit à la remise en cause de la crédibilité du scrutin », estime-t-il.
Les observateurs à travers le pays, qu’ils soient internationaux ou nationaux, ont été très critiques à l’égard de la Commission électorale et de sa façon d’organiser le scrutin. C’est une des pires élections de l’histoire du Nigeria, surtout depuis 2007. Leur organisation a été très décevante. La Commission électorale n’a pas été capable de suivre ses propres procédures et cela a conduit à la remise en cause de la crédibilité du scrutin. Il est donc très compréhensible que ces deux partis d’opposition décident de boycotter le décompte des voix par la Commission. Mais ce n’est que leur requête. Cela ne signifie pas que c’est ainsi que les choses vont se passer. Quant à nous, les ONG qui observons le scrutin, nous ne partageons pas nécessairement leur point de vue. Nous considérons que ces élections ont été mal organisées. Mais il y a aussi des procédures pour contester des résultats et cela implique de se tourner vers les cours de justice.
Avec RFI