Au Cameroun, cela fait, ce dimanche 6 novembre, quarante ans, jour pour jour, que Paul Biya est président de la République. En 1982, il recevait le pouvoir de son prédécesseur démissionnaire Ahmadou Ahidjo. En quatre décennies, Paul Biya, âgé aujourd’hui de 89 ans, a été proclamé vainqueur des sept dernières élections présidentielles. Il est à mi-parcours de son septième mandat qui court jusqu’en 2025.
Une date anniversaire à fêter ou à regretter pour les uns, un non-événement pour les autres. C’est le parti de Paul Biya qui en fait, ce dimanche, une journée de célébrations. Le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) a demandé à ses sections locales d’organiser « avec faste » meetings et manifestations publiques sur le territoire. Un grand rassemblement organisé à Yaoundé devant l’hôtel de ville.
Sur l’esplanade de l’hôtel de ville de Yaoundé, des dizaines de chapiteaux blancs pour abriter les militants. Paul Biya est physiquement absent, mais son portrait est partout. Sur la façade, un portrait géant du président Biya et en tribune officielle, le président du Sénat, Marcel Niat Njifenji, le Premier ministre, Joseph Dion Ngute, ainsi que de nombreux cadres du RDPC.
Mobilisation avant les sénatoriales de 2023
Le secrétaire général du RDPC, Jean Nkuete, a placé cette journée sous le thème du renforcement de la mobilisation derrière Paul Biya. Le parti majoritaire a en tête les futures échéances électorales, à savoir les sénatoriales attendues l’an prochain et la présidentielle de 2025.
Le Secrétaire général adjoint du comité central, le Ministre du Travail Grégoire Owona : « Je vous exhorte à maintenir cette mobilisation à un niveau très élevé ». Du côté des militants installés en retrait sous les arbres, ambiance de kermesse et discussions politiques. Le parti majoritaire au Cameroun a récemment renouvellé ses organes de base. Ce 40e anniversaire de la présidence Biya était placé sous le signe du « renforcement de la mobilisation derrière le chef de l’État.
« Ne prêtons pas le flanc à ceux qui font de la politique-fiction en nous disant que « si ceci, si cela… ». Nous, nous sommes dans le feu de l’action, nous avançons, lance le secrétaire général adjoint du comité central, le Ministre du Travail Grégoire Owona à la tribune. Nous devons être fiers d’avancer et nous devons en féliciter notre leader. »
Une longévité au pouvoir diversement appréciée
Quarante ans de présidence, c’est aussi un bilan et une longévité diversement appréciée qui suscitent inévitablement commentaires et prises de position politiques.
Ainsi, on a pu lire dans le journal gouvernemental Cameroon Tribune des pages entières de messages de félicitations adressées par des chefs traditionnels, des parlementaires ou encore le président de la Commission nationale anti-corruption (Conac).
Des documentaires, des débats, des ouvrages sur le « phénomène Biya » retraçant son parcours, décryptant les clefs de sa longévité… Ses partisans lui attribuent la paternité de la stabilité du Cameroun sur le temps long. « Le Cameroun est un pays de paix », répètent-ils. Une paix, toutefois, que ne connaît pas une partie de la population dans l’Extrême-Nord touché par Boko Haram et dans les deux régions à majorité anglophone du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
Sur le plan social et économique, le parti met en avant, entre autres, des constructions d’écoles, d’hôpitaux ou encore de routes, ces quatre décennies passées. Les opposants pointent « un potentiel inexploité », « une industrie embryonnaire » et des infrastructures encore « insuffisantes » pour répondre aux besoins de base. De son côté, l’organisation « Tournons la Page » dénonce une « corruption endémique et institutionnalisée » et une longévité qui « a pesé sur le développement du pays ».
Pour certains, ce serait le caractère énigmatique du personnage. Selon d’autres, il faudrait mettre en avant la technique de gestion du personnel politique, dont il est un véritable démiurge, et sa capacité d’adaptation aux situations. À en croire d’autres encore, la piste de « l’initiation aux savoirs du pouvoir traditionnel » gagnerait à être explorée. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les « secrets » du bail exceptionnel de quarante ans du chef de l’État camerounais relèvent toujours d’un grand mystère.
« Je commencerai par dire que ne dure pas au pouvoir qui veut, mais dure qui peut (…) Les élections présidentielles camerounaises de 2018 sont certaines, mais encore lointaines. Nous avons le temps de réfléchir et le moment venu, les Camerounais et les amis français et tout le monde sauront si je suis candidat ou si je prends ma retraite ». Juillet 2015. Le président Paul Biya, à la faveur d’une conférence de presse conjointe, en compagnie du président français François Hollande, répond à la préoccupation de ceux qui veulent sonder son avenir politique, en lui faisant grief d’un long exercice du pouvoir. Et si ce propos résumait, à lui seul, le trait caractéristique de la personnalité du chef de l’État camerounais ?
La perspective d’analyse est pertinente à plus d’un titre. Octobre 2007. Quatre ans avant l’élection présidentielle de 2011 à laquelle il prit finalement part, le même Paul Biya, répondant à une question du journaliste Ulysse Gosset de France 24, sur son intention de se présenter à ce scrutin, s’était fendu de cette réponse : « Les élections présidentielles au Cameroun sont certaines, mais lointaines. ». Juillet 2022. Alors qu’on l’interroge une nouvelle fois sur l’horizon de sa retraite politique, le président, réélu en octobre 2018, a cette saillie : « Le Cameroun est dirigé conformément à sa Constitution. Selon cette Constitution, le mandat que je mène a une durée de sept ans. Alors, essayez de faire la soustraction et vous saurez combien de temps il me reste à diriger le pays. Mais autrement, quand ce mandat arrivera à expiration, vous serez informé sur le point de savoir si je reste ou si je m’en vais au village ».
Mystère et silence
Va-t-il se présenter en 2025 ? Mystère et boule de gomme. Chez le chef de l’État camerounais, cette manie de ne pas se dévoiler avant son heure, de combiner le maniement de l’énigme et de l’opacité, apparaît, aux yeux de nombreux observateurs, comme une des explications possibles de sa longévité au pouvoir. « On note chez lui, une gestion calculée et économe du temps qui joue sur le mystère et le silence », décrypte le professeur Mathias Eric Owona Nguini, sociopolitiste, enseignant à l’Université de Yaoundé II-Soa. Son collègue, le professeur Joël Narcisse Meyolo, du département d’Histoire de l’Université de Yaoundé I, renchérit : « Le président Paul Biya a su entretenir un mythe de sa personne. Ceci fait de lui un homme secret, imprévisible, le maître des horloges. Cette façon de faire lui confère le contrôle de ses collaborateurs, car personne ne peut prétendre savoir ou connaître quand ce dernier peut se mettre en mouvement. C’est ce qui explique, par exemple, qu’en quarante années, il forme trente-sept gouvernements ». À cette aune, le témoignage du professeur Titus Edzoa, chirurgien et ancien secrétaire général de la présidence de la République, n’en est que plus édifiant, sur ces aspects de la personnalité du président Biya : « Dans ce système, affirme cet ex-confident du chef de l’État tombé en disgrâce, le seul maître à bord est le président de la République. Il a un extraordinaire talent de créer un véritable hymen entre le formel et l’informel, situation inextricable dont il est le seul prestidigitateur. L’énigme est savamment créée et entretenue par lui-même ». Il n’est pas jusqu’à son prédécesseur, Ahmadou Ahidjo, lui-même, qui ne confessât son erreur d’appréciation de son successeur à la tête de l’État, au plus fort des premières crispations entre les deux hommes : « Je me suis trompé. Le président Biya est faible. Mais je ne savais pas qu’il était aussi fourbe et hypocrite », écrit-il, désabusé, dans un communiqué de presse du 24 août 1983.