Mali : Les policiers réagissent à l’annonce de leur militarisation

Afrique

La police deviendra bientôt partie intégrante de l’armée. Un changement de statut annoncé il y a tout juste une semaine, mercredi dernier, à l’issue du conseil de ministres. Objectif : « déployer la police nationale dans les zones reconquises par l’armée. » Pourtant, ce changement majeur n’a jusqu’ici fait l’objet d’aucune précision de la part des autorités maliennes de transition, ni d’aucune réaction officielle de la part des syndicats de policiers. RFI a recueilli, sous couvert d’anonymat, des témoignages de policiers.

Aucun des nombreux syndicats de policiers -il en existe douze- contactés par RFI n’a encore de position officielle. Partout, les « réflexions » sont « toujours en cours ». C’est donc peu dire que l’annonce ne suscite pas un enthousiasme immédiat. Et la critique d’une telle mesure, qui concerne directement les forces de défense et de sécurité maliennes, est évidemment délicate dans le contexte actuel.

Pourtant, même hors micro, plusieurs policiers affirment accueillir favorablement ce changement de statut. « Nous sommes prêts à tout pour défendre la patrie », explique un policier, « devenir militaire ne change rien pour moi », affirme un autre, « nous sommes en mission pour le peuple ».

« J’attends d’en savoir plus, tempère un commissaire, pour le moment, on ne sait rien du projet de loi. » Et de faire remarquer qu’avant de prendre cette décision majeure, les autorités maliennes de transition n’ont pas consulté les syndicats de policiers.

« Nous sommes déjà dans le nord et dans le centre, des policiers meurent déjà en sautant sur des mines, il n’y avait pas besoin de changer notre statut ! », s’indigne carrément un officier, qui balaie aussi l’argument des effectifs : « Beaucoup de militaires chèrement formés font un travail administratif dans les ministères à Bamako. » Plusieurs policiers, syndiqués ou non, estiment que les autorités ont pour « but caché » d’étouffer toute contestation. Dans l’armée, les syndicats sont interdits, tout comme le droit de grève.

Le mois dernier, les syndicats de policiers s’étaient tous mobilisés autour de revendications salariales. Une fois passés dans le giron de l’armée, ce type de rassemblement ne sera plus permis. « Nous n’aurons plus le droit de grève, nos syndicats vont être dissous, c’est une grande crainte », reconnaît un dirigeant syndical. Un autre espère cependant que la militarisation de la police sera justement l’occasion d’un rattrapage salarial.

Autre crainte, la transposition des grades : « dans la police, il y a des officiers et des sous-officiers, comme dans l’armée, mais aussi des commissaires. Que vont-ils devenir ? »

Aucune échéance n’a encore été donnée pour la présentation du projet de loi devant le Conseil national de transition.

« Le plus gros risque, c’est l’excès de violence »

La militarisation de la police doit permettre, selon le communiqué publié mercredi dernier, de « déployer la Police nationale dans les zones reconquises par l’Armée. » Que cela signifie-t-il en pratique ? David Baché a posé la question à Arthur Banga, chercheur à l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan, spécialiste des armées et des questions de défense.

Cela veut dire qu’après une opération ou un combat mené par les armées, le ratissage et « tenir la zone » pourra revenir à des forces de police. Cela devrait permettre à l’armée de progresser plus rapidement, sachant que la militarisation suppose qu’au niveau de l’équipement et de la formation, il va y avoir une transformation pour permettre justement à la police de pouvoir faire des missions beaucoup plus militaires.

Donc, l’idée, c’est de se déployer dans des zones où la police serait aujourd’hui absente, et de combler un vide qui pénalise aujourd’hui les populations dans de très grandes parties du territoire…

Exactement. D’abord pouvoir combler ce vide, mais ensuite pouvoir utiliser la police dans des opérations militaires. La police aura donc pour mission de sécuriser, de ratisser, voire même de faire des appuis à l’armée dans des opérations purement militaires.

Et il était nécessaire, pour cela, de faire passer la police dans le giron de l’armée ? Le statut actuel de la police ne suffisait pas ?

L’idée est de donner un statut beaucoup plus légal à cet usage de la police. Si vous ne donnez pas ce statut, les policiers pourront dire un jour : « ce n’est pas notre rôle, on n’est pas formés pour cela ou on n’a pas l’équipement pour. » Mais cela peut aussi créer un mélange des genres : on ne pourra plus vraiment situer la différence entre l’armée et la police. Le plus gros risque, c’est que, justement, sur des opérations de police banales, normales, on retrouve une force ayant reçu une formation militaire avec l’emploi d’une violence en excès. Le risque, c’est donc l’usage de la violence et le respect des droits de l’homme. Le deuxième problème, c’est la question de la proximité : en suréquipant la police, ou en lui donnant des formations purement militaires, on peut perdre l’avantage de cette force qui est d’être dans la population et avec la population.

Est-ce qu’il n’y a pas un risque aussi pour les droits des policiers eux-mêmes, qui n’auront plus de syndicats notamment ?

Naturellement ! À partir de ce moment, la police n’aura plus le droit de grève ni aucun des droits syndicaux. Elle va perdre les avantages de son statut civil actuel. Les revendications se feront comme chez les militaires, à travers la hiérarchie, théoriquement. Elles ne seront pas visibles. Évidemment, la police va perdre cet avantage-là, et c’est « tout bénef' » pour la junte parce que cela fera des manifestations et des contestations en moins. Mais il faut dire que dans la sous-région, en Côte d’Ivoire par exemple, la police est déjà militarisée, et cela a permis d’utiliser la police sur le front. Tout dirigeant préfère avoir une force de police qui ne soit pas à même de discuter, mais on peut entendre aussi les raisons opérationnelles.
Cela veut dire que normalement après une opération ou un combat mené par les armées, le ratissage de la zone pourra revenir aux forces de police. Cela devrait permettre à l’armée de progresser plus rapidement. Sachant que la militarisation suppose qu’au niveau de l’équipement, de la formation, il va y avoir une transformation pour permettre à la police de pouvoir faire des missions beaucoup plus militaire.