Organisé par le Laboratoire d’analyse et de recherche Religion-Espace-et Développement (Larred) et le ReBetoCHS, le symposium international sur le thème « Regards universitaires croisés sur l’émergence et les enjeux socioéconomiques des groupes armés au Bénin », s’est tenu ce samedi 29 janvier 2022 à la salle de conférence « Professeur Michel Boko » de l’École doctorale pluridisciplinaire (Edp-Ecd) de l’Université d’Abomey-Calavi (Uac). Une heureuse occasion de réflexion entre acteurs interdisciplinaires autour de l’extrémisme violent.
Université et terrorisme ! Même si le lien ne saute pas à l’œil, il n’est pas pour autant inexistant. Les interventions militaires souvent au-devant de l’actualité n’arrivent pas à juguler ce phénomène. Or, les organisateurs sont unanimes qu’une prise en compte des dynamiques sociales suivie d’une bonne planification politique aurait pu permettre de l’anticiper et de l’éviter. En associant alors des experts aux universitaires il s’agit à travers ce symposium, d’« une sorte de brainstorming pour essayer de mieux comprendre ce qui nous arrive depuis quelque temps et pour l’insérer dans l’analyse, la réflexion planétaire de la question des violences tout simplement », a précisé Dodji Amouzouvi, directeur scientifique du Larred. Le double but, a-t-il indiqué, c’est, d’abord, de recueillir lors de ce symposium le maximum d’idées pour étoffer un projet de recherche en cours ; et ensuite, pour élaborer un ensemble de pertinentes recommandations à remonter aux autorités.
Les différentes allocutions lors de la cérémonie d’ouverture ont donc décliné la pertinence de l’initiative. Le présidium a été occupé par quatre personnalités, à savoir Chabi Imorou Azizou, chef du Département de Sociologie-Anthropologie ; professeur Placide Cledjo, directeur de l’Edp ; Aliou Saidou, vice-recteur chargé de la Recherche universitaire de l’Uac ; et Clément Agbangla, directeur général de la recherche scientifique et de l’innovation, représentant la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique (Mesrs) qui a lancé les réflexions. Dans la salle, une délégation de l’Université de Lomé au Togo a fait le déplacement. Sans oublier le chef d’État-major des Armées, le président de la Cour constitutionnelle, l’Agence béninoise des études stratégiques (Abes) et d’autres structures en charge des questions sécuritaires qui se sont fait représentées.
Regard critique
« Le terrorisme est assez problématique aujourd’hui », observe le chef du Département de Sociologie-Anthropologie de l’Uac, Dr Chabi Imorou Azizou. En peu de temps, il a exposé la complexité du terrorisme au Sahel. Ce qu’on voyait venir, dit-il, est aussi aux portes du Bénin désormais. De son avis, l’échec cuisant des ripostes antiterroristes à l’instar des forces françaises Barkhane et Takuba à l’issue d’une décennie de présence ou encore la déculottée des américains en Afghanistan face aux Talibans, n’a qu’une explication. « Si ces diverses interventions ont échoué, c’est sans nul doute parce que ces missions n’avaient pas une bonne connaissance du terrain », a-t-il déploré. Certes, ces acteurs ont une maitrise géographique remarquable des espaces touchés grâce aux moyens technologiques sophistiqués à leur disposition. « Le terrain géographique, les Forces de défense le connaissent mieux que quiconque grâce aux technologiques de pointe, les avions qu’elles utilisent et le système de communication satellitaire et leur sens élevé de l’orientation. En matière de connaissance géographique il n’y a pas commentaire ». Mais les dynamiques sociales leur sont peu connues, avec comme conséquence, beaucoup d’amalgames en défaveur finalement de la lutte. « Les contextes locaux sont quasiment méconnus des interventions en tout cas pour ce qu’on a vu pour Barkhane, Takuba et le G5 Sahel. Ces opérations se sont déroulées dans un contexte global de mépris des contextes sociales, en particulier les pratiques quotidiennes des populations sont méconnues des interventions ; les liens familiaux entre les populations transfrontalières sont très peu exploitées dans la lutte ; le contexte religieux lui-même très peu connu, ce qui amène toutes ces confusions entre la religion musulmane et les groupes armés qui utilisent un discours religieux ; le contexte économique aussi est très peu connu et le langage utilisé sur le terrain n’est pas souvent bien cerné par les forces en intervention. Donc, puisqu’elles ne connaissent pas ces contextes locaux, on se demande comment une telle intervention est possible. Je prends l’exemple d’un groupe qui ne connait pas l’histoire politique des espaces, les conflits fonciers, les problèmes entre chefferies et les modes de règlement de ces conflits qui ont une histoire. Mais le terrain militaire est un terrain d’urgence, de guerre et ce n’est pas le moment de comprendre ces éléments des contextes locaux », a-t-il décrypté.
Pour Dr Chabi Imorou Azizou, cela signifie que « Les sciences sociales devraient être au centre de cette préoccupation et devraient pouvoir produire des éléments exploités par ceux qui sont en charge des interventions pour bien réussir la lutte », a-t-il martelé. Par ailleurs, « La plupart des gens qui interviennent sur le terrorisme ne maitrisent pas le sujet, n’ont jamais mis pied au Mali ou au nord-Bénin. Il ressort alors de leurs analyses des incongruités sur lesquelles ils se basent pour conseiller ceux qui ont à charge l’intervention sur le terrain », a-t-il également dénoncé. Et de souhaiter, à l’issue de ce symposium « qu’il y ait un groupe de réflexion, un genre de task force qui permet de réfléchir et de produire des données de première main sur les conflits dans les localités et leurs modes de règlement qui sont des leviers sur lesquels il faut jouer pour anticiper sur les modes de recrutement des groupes armés ou anticiper leur expansion ».
Éclairer les autorités
Très satisfait de ce développement du chef du département de Sociologie-Anthropologie, le Prof Placide Cledjo a indiqué que le symposium procèdera à une foire aux idées novatrices et porteuses de solutions durables et pratiques aux violences qui secouent notre pays. « À travers nos échanges il s’agira pour nous de répondre entre autres questions majeures : comment la violence armée a-t-elle émergé au nord ? Quelles en sont les causes et les conséquences ? Quels sont les éventuels leviers de propagation ? Quels sont les liens supposés ou réels avec les conflits armés dans le pays voisin ? Quels sont les acteurs, leurs logiques, leurs stratégies ? Quels sont ses liens supposés ou réels avec la problématique internationale du terrorisme ? et quels sont les enjeux socioéconomiques de ces violences et les éventuelles réponses apportées ? » Un état des lieux donc des causes et effets de l’extrémisme violent naissant au Bénin afin de proposer des solutions pratiques intégrées pour minimiser les effets socioéconomiques de ces vagues de mouvements violents, a résumé le directeur de l’École doctorale pluridisciplinaire.
À la cérémonie d’ouverture, le recteur de l’Uac Félicien Avlessi a été représenté par le Pr Aliou Saidou. La place de l’université dans les questions de terrorisme, ce dernier ne l’a pas vite perçue, a-t-il avoué. Mais avec les explications, il a compris que « Le symposium place l’université au cœur de cette mission républicaine, celle d’être à l’avant-garde de la réflexion, d’éclairer les décisions des autorités ». Le vice-recteur chargé de la Recherche universitaire a alors souhaité que les autorités « nous écoutent et prennent acte de nos recommandations ». Dans le même sens, le représentant du ministre Éléonore Ladékan Yayi voit dans le symposium, un « brainstorming sur une situation qui menace la paix et le développement » et « Un signal fort que la communauté scientifique nationale lance pour l’instauration d’un interface multi-acteurs autour des questions d’intérêt national ». Tout en évoquant l’engagement et les diverses contributions significatives du gouvernement au profit de la Police républicaine et les Forces armées dans la lutte contre le terrorisme, Clément Agbangla a dit espérer des participants, des propositions et recommandations pratiques en vue d’une juguler définitivement ce phénomène.
Le professeur Ayité Marcel Baglo a donné une communication sur le terrorisme en Afrique. Avec ses expériences, le directeur de l’Agence béninoise de gestion intégrée des espaces frontaliers (ABeGIEF) et président de la Cellule de mise en œuvre des décisions de haut niveau, chargée de la lutte contre le terrorisme et l’insécurité aux frontières est parvenu au constat que « Le terrorisme n’est pas une génération spontanée, c’est un processus qui part d’abord du sentiment d’abandon que les populations ont. Ce qui pousse ensuite les jeunes à se rebeller ». Il a appelé alors les Africains à ne plus se laisser convaincre par les Européens qui font croire que le terrorisme est une génération spontanée. Cette définition, dit-il, les arrange, parce qu’ils ont besoin d’intervenir dans sur nos vastes territoires pour tester leurs technologies militaires de dernière génération.
Avec Benin Intelligent