Eclairage sur la situation pénale des députés à l’Assemblée nationale

Politique

Dossier Candide AZANAI : Pourquoi ce qui s’est passé ce lundi 4 Mai 2015 est contraire à l’Etat de droit ?? : Eclairage sur La situation pénale des députés à l’Assemblée nationale d’un professeur de droit de l’UAC.

La situation pénale des députés à l’Assemblée nationale est marquée par le concept d’immunité parlementaire.
Selon la Cour constitutionnelle du Bénin, « l’immunité est un privilège accordé par la loi à certaines personnes en raison de leur situation sociale, familiale ou juridique afin de les protéger. Elle éteint l’action publique et met fin aux poursuites. De ce fait, elle constitue une exception au principe de la responsabilité pénale, au droit de poursuite qui s’y rattache » (DCC 02-015 du 20 mars 2002).
En droit constitutionnel, l’immunité est une « protection dont l’objet est de permettre à un représentant de la nation d’exercer librement et en toute indépendance son mandat. » .
L’immunité parlementaire vise à protéger les députés de l’arbitraire du pouvoir exécutif qu’ils sont censés contrôler ainsi que celle du pouvoir judiciaire dont ils définissent les règles de fonctionnement. Elle permet ainsi de lutter tout à la fois contre les immixtions de l’Exécutif et contre celles du judiciaire.
L’immunité parlementaire consiste, en fait, en un certain nombre de mesures qui sont aménagées dans la Constitution ou dans la législation d’un pays pour garantir aux parlementaires des conditions de protection nécessaires pour mieux s’acquitter de leurs fonctions constitutionnelles hautement politiques.
L’immunité ne protège pas le député à titre personnel mais à raison du mandat qu’il exerce.
Au Bénin, cette immunité est prévue par l’article 90 de la Constitution aux termes duquel :
« Les membres de l’Assemblée Nationale jouissent de l’immunité parlementaire. En conséquence, aucun député ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions.
Aucun député ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation de l’Assemblée Nationale, sauf cas de flagrant délit.
Aucun député ne peut, hors session, être arrêté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée Nationale, sauf les cas de flagrant délit, de poursuite autorisée ou de condamnation définitive.
La détention ou la poursuite d’un député est suspendue si l’Assemblée Nationale le requiert par un vote à la majorité des deux tiers. »
L’immunité consiste en réalité en trois volets :
– L’irresponsabilité.
– L’inviolabilité.
– Le véto

Section 1 : L’irresponsabilité

L’irresponsabilité du député trouve son fondement dans l’article 90, alinéa 1, de la Constitution, repris par l’article 69.1 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
L’irresponsabilité garantit au député la jouissance totale de la liberté d’expression. Elle contribue à créer les conditions appropriées pour que les délibérations au Parlement révèlent l’état réel des choses. Elle est supposée permettre au député, notamment pendant les discussions en Commissions (ad hoc ou permanente), au sein des organes institués au sein du Parlement (organes directeurs tels que le Bureau ou simples organes tels que les groupes parlementaires), et les délibérations en plénières, moments par excellence où est censée se faire la conciliation entre les intérêts particuliers et l’intérêt général, de dire ou d’écrire tout ce qu’il juge nécessaire pour, en quelque sorte, « la manifestation de la vérité » , de l’intérêt général, sans aucune crainte ni pour le présent ni pour le futur.
L’irresponsabilité parlementaire s’étend aux propos tenus par le député tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Assemblée nationale, pour autant que lesdits propos se rapportent directement à l’action exercée par celui-ci au sein du parlement.
Cette irresponsabilité revêt au moins trois caractéristiques :
– elle est absolue, parce qu’aucune procédure ne permet de la lever ;
– permanente, parce qu’elle s’applique pendant tout le mandat, même durant l’intersession parlementaire; et
– perpétuelle, parce que s’opposant aux poursuites motivées par les actes accomplis pendant le mandat même après la fin de celui-ci à condition qu’elle concerne les actes posés par le député en sa qualité de député.
L’irresponsabilité prend naissance le jour du début du mandat et s’étend, une fois le mandat expiré, à toutes poursuites pour des opinions émises pendant l’exercice du mandat.
Les articles 60 à 67 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale encadrent les sanctions disciplinaires susceptibles d’être prononcées contre les députés.
Les sanctions disciplinaires applicables aux membres de l’Assemblée nationale sont :
• le rappel à l’ordre
• le rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal
• la censure simple
• la censure avec exclusion temporaire.

Section 2 : L’inviolabilité
L’inviolabilité est une protection d’ordre procédural ayant pour objet de soumettre les poursuites contre un parlementaire en matière criminelle ou correctionnelle à autorisation de l’Assemblée nationale.
Il faut en examiner les fondements et étendue avant de se pencher sur ses modalités de mise en œuvre.
§.1- Fondement et étendue
L’inviolabilité trouve son siège aux alinéas 2 et 3 de l’article 90 de la Constitution. Ces dispositions sont reprises par les articles 69.2 et 69.3 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
Ici, il s’agit de dispositions qui mettent le député à l’abri d’actions susceptibles de l’empêcher d’aller s’acquitter de ses fonctions parlementaires – par exemple, toute arrestation, détention ou poursuite judiciaires – sans l’autorisation de l’Assemblée nationale (ou du Bureau pendant les périodes d’inter sessions) excepté les cas de flagrant délit. C’est l’idée que les institutions parlementaires doivent être à même de fonctionner le plus librement possible, de telle sorte que certaines circonstances peuvent commander qu’un parlementaire ne soit pas arraché à son banc – en raison par exemple d’une mesure de détention ou d’interrogatoires trop fréquents – et qu’ainsi l’Assemblée ne soit pas amputée de facto d’une de ses composantes … Il ne s’agit donc pas de protéger la personne du parlementaire, mais bien sa fonction et l’institution parlementaire de façon générale.
L’inviolabilité du député, est une institution complexe qui se prête à plus de confusion car sa raison d’être semble davantage remise en cause. L’inviolabilité tend à éviter que l’exercice du mandat parlementaire ne soit entravé par certaines actions pénales visant des actes accomplis par les députés en tant que simples citoyens. Elle réglemente les conditions dans lesquelles s’exerce l’action publique pour les actes étrangers à leurs fonctions.
Il faut dire, par exemple, qu’au Canada, en Irlande, à Malte et au Royaume-Uni, l’inviolabilité n’entre en ligne de compte qu’en matière civile alors que le parlementaire ne jouit en matière pénale d’aucune protection particulière et est traité à l’égal des autres citoyens.
Au Bénin, l’inviolabilité ne s’applique qu’en matière pénale, couvre toutes les infractions et préserve le parlementaire de l’arrestation et de la mise en détention préventive, de l’ouverture de poursuites juridiques à son encontre et de la perquisition domiciliaire. L’inviolabilité parlementaire n’empêche pas la citation à comparaître en qualité de témoin devant un magistrat ou un tribunal. La protection est assurée depuis le début jusqu’à la fin du mandat et inclut également les procédures judiciaires engagées à l’encontre d’un parlementaire avant son élection.

§.2- Les modalités de mise en œuvre et les limites

Le principe est qu’il ne saurait y avoir de poursuite ou d’arrestation sans autorisation de l’Assemblée nationale ou de son bureau, même si certaines limites sont prévues à ce principe (A). Il parait primordial de connaitre les conditions de l’autorisation de poursuite ou d’arrestation (B).
A- La nécessité d’autorisation
1- Pendant les sessions.
Alinéa 2 de l’article 90 de la Constitution :
« Aucun député ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation de l’Assemblée Nationale, sauf cas de flagrant délit. »
On peut résumer cette disposition ainsi qu’il suit : Pendant les sessions parlementaires, Pas de poursuite ou d’arrestation sans autorisation de l’Assemblée nationale sauf cas de flagrant délit

2- Hors sessions.
Alinéa 3 de l’article 90 de la Constitution :

« Aucun député ne peut, hors session, être arrêté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée Nationale, sauf les cas de flagrant délit, de poursuite autorisée ou de condamnation définitive. ».
On peut résumer cette disposition ainsi qu’il suit : En dehors des sessions parlementaires, pas d’arrestation sans autorisation du bureau de l’Assemblée nationale, sauf cas de flagrant délit ou cas de condamnation définitive.

3- Existence de limites à la nécessité d’autorisation.
L’examen des deux cas précédents permet de tirer une leçon : il existe des limites à la nécessité de l’autorisation parlementaire avant toute poursuite ou arrestation. Ainsi :
– Pendant les sessions parlementaires, un député peut être poursuivi et arrêté en cas de flagrant délit.
– En dehors de toute session parlementaire, un député peut être arrêté en cas de flagrant délit, de poursuite autorisée ou de condamnation définitive.
Mais dans tous les cas, il faut une autorisation de l’Assemblée nationale pour que la procédure suive son cours normal, sinon la menace du véto (voir section 3) est toujours permanente.

B- L’autorisation de poursuite de l’Assemblée nationale :

La levée de l’immunité
Aux termes des articles 70 et 71 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, il existe des hypothèses de levée d’immunité parlementaire, ainsi qu’une procédure précise à respecter.
1- Les hypothèses de levée d’immunité parlementaire :
L’immunité parlementaire peut être levée dans les cas ci-après :
• cas de délit ou de crime flagrant lorsque le député, auteur, co-auteur ou complice de l’infraction poursuivie, aura déjà été ou non arrêté et détenu ;
• cas de délit ou de crime lorsque des poursuites doivent être engagées contre le député, auteur, co-auteur ou complice d’une infraction;
• cas de délit ou de crime, lorsque les poursuites engagées contre le député auteur, co-auteur ou complice de l’infraction sont provisoirement suspendues.

2- Procédure de levée d’immunité parlementaire

La demande de levée d’immunité parlementaire est adressée au Président de l’Assemblée nationale.
Toute demande de levée d’immunité est instruite par une commission spéciale composée de :
• un membre du Bureau de l’Assemblée nationale, Président
• le Président ou à défaut, un Rapporteur de la commission des lois, de l’administration et des droits de l’homme, Rapporteur
• un représentant de chaque groupe parlementaire.
La commission spéciale entend le député dont la levée de l’immunité parlementaire est demandée ou celui de ses collègues qu’il aura désigné pour le représenter.
Le rapport de la commission spéciale est transmis à la Conférence des présidents pour avis avant d’être inscrit à l’ordre du jour de la plus prochaine séance de l’Assemblée nationale, suivant la procédure de traitement des questions urgentes.
La décision relative à la levée de l’immunité parlementaire est prise par l’Assemblée en séance plénière au cours de laquelle, il n’est donné lecture que des conclusions du rapport de la commission spéciale.
La décision d’accorder ou de rejeter la levée de l’immunité parlementaire est adoptée sous forme d’une résolution par la majorité absolue du nombre des députés calculée par rapport au nombre des sièges effectivement pourvus.
Cette décision ne s’applique qu’aux infractions pour lesquelles la levée de l’immunité parlementaire a été demandée.
En cas de rejet, aucune autre demande relative aux mêmes faits et à la même personne n’est recevable au cours de la même session.

Section 3 : Le véto parlementaire
Elle s’exprime à travers le quatrième alinéa de l’article 90 de la Constitution.
« La détention ou la poursuite d’un député est suspendue si l’Assemblée Nationale le requiert par un vote à la majorité des deux tiers. »
Il s’agit d’une immixtion du législatif dans le Judiciaire, mais cette immixtion est constitutionnelle, donc voulue par le constituant lui-même.