(Ses pairs de l’UEMOA s’approprient la stratégie du Bénin à Lomé cette semaine)
Il faut remonter aux années 70/71 pour trouver un si haut taux d’admissibilité au bac béninois. A cette époque le taux de réussite a dépassé les 63%. Avec 64,42%, le taux de réussite de cette année 2021 est une surprise car depuis plusieurs années, il ne dépassait pas la barre des 50%. Au détour d’une de ces rares sorties, le Professeur Alphonse da Silva, Directeur de l’Office du Baccalauréat évoque dans cet entretien quelques secrets de cet exploit. Cette semaine à Lomé au Togo, ses pairs de l’UEMOA s’approprient la stratégie du Bénin. Entretien
Les 4 Vérités : Monsieur le DOB, le Bac 2021 a été un succès inédit reconnu de tous qui est aujourd’hui derrière nous. Quels sont les sentiments profonds qui vous animent ?
Professeur Alphonse da Silva : Je vous remercie pour votre intérêt à cette question. Qu’est-ce qui fait la spécificité du Bac de cette année ? J’avoue que moi-même j’ai été un peu surpris. Je savais que nous allions réaliser une bonne performance, mais aller jusqu’à battre un record de cinquante ans, je ne pouvais pas imaginer. C’est dire que si nous voulons travailler, pas moi-même, nous tous, et que nous avons quelqu’un qui nous insuffle ce souffle pour bien travailler, nous battons des records. Je crois que c’est aussi une performance du Président de la République. Je ne fais pas de la politique ; j’enseigne la science politique mais je ne fais pas de la politique. Mais il faut dire la vérité. Le Président Talon est de ceux-là qui savent qu’ils doivent réaliser des performances, mais bon, cela passe par nous, donc il faut saluer tout le monde. Le peuple béninois, les parents d’élèves ; et aussi les candidats. Donc c’est une demi surprise et elle est liée au travail qui a été fait par le président de la République, le ministre de l’Enseignement supérieur bien sûr mes collaborateurs de l’office du baccalauréat, tous les ministres de l’Enseignement, tous les inspecteurs de l’enseignement secondaire, les professeurs, les superviseurs du baccalauréat. Bref, c’est au peuple que nous devons ce taux-là.
Assurément, en évoquant le nom du Président de la République, qui est un maillon important de cette réussite, vous évoquez indirectement des réformes.
D’abord il y a eu des réformes instituées par l’organisation commune qu’est l’UEMOA, puisque nous devons atteindre en 2024 cet objectif qui est d’organiser un bac unique dans l’espace UEMOA, pour que certains ne disent pas que c’est un baccalauréat sénégalais, béninois, etc, et que ce sont ces bacs qui sont les meilleurs. Mais nous voulons aller vers l’objectif de l’unité africaine lié à notre organisation qu’est l’Union africaine, mais aussi à celui de l’UEMOA pour que nous ayons les mêmes conditions de travail et de performance, qui ne relèguent pas au second plan tel ou tel pays. C’est une bonne idée. Mais il faut d’abord commencer par les pays. Et je crois que nous avons déjà mis notre pierre dans l’escarcelle pour que nous puissions réussir cette réforme. Donc c’est aussi une décision politique. Lorsque vous avez à la tête d’un pays un président qui est sérieux, qui veut du bonheur de ce pays-je ne fais pas la politique- eh bien, vous aussi dans votre coin vous devez tout faire pour ne pas vous faire tirer les oreilles.
Avant de continuer, puisque c’est encore dans mon sang, je voudrais présenter mes condoléances à la communauté universitaire, à la communauté des enseignants de l’Office du baccalauréat pour le professeur Orou Bagou qui nous a quittés. C’est quelqu’un qui a aussi beaucoup fait ; j’étais superviseur quand il était Dob. Il a aussi laissé quelque chose.
Monsieur le DOB, vous avez évoqué tantôt le Sénégal, le Togo, l’UEMOA en général. Nous avons reçu des responsables de ces pays venus s‘inspirer de l’expérience béninoise. Qu’est-ce qu’ils sont venus apprendre ici ?
Ça fait partie des activités de l’UEMOA. Chaque pays doit s‘inspirer de ce que les voisins font. Le Dob sénégalais est arrivé ici, nous l’avons reçu ici. Il n’est plus là maintenant. C’est un autre qui est là. Nous avons de très bonnes relations avec le Sénégal, la Côte d’Ivoire, avec madame la Deco. La Deco c’et la Dec et la Dob réunies en Côte d’Ivoire. Elle aussi travaille pour que le Bac soit l’examen majeur en Côte d’ Ivoire. Même le Dob togolais vient également ici ; mais avec la Covid 19, c’est un plus ralenti. Lui aussi travaille pour atteindre le même objectif ; pour ne pas minimiser le Bac de tel ou tel pays. Même la Guinée Bissau, qui est un pays lusophone, s‘est accolée à nous pour organiser son Bac, parce que c’est l’examen qui ouvre les portes des universités. Je puis vous dire que le Bac béninois est très apprécié, en Europe, en Océanie, en Asie en Amérique. Et lorsque vous dites que vous êtes titulaire du Bac béninois ! Et ceci ce n’est pas ma performance. Il faut rendre hommage à tous ceux qui m’ont précédé : Ekpodessi, Awanou,Orou Bagou, et tous ceux qui nous ont précédé, qui ont fait du baccalauréat un label. Et il faut pouvoir maintenir le cap, parce que moi-même je vais partir un jour. Il faudrait que celui qui viendra me remplacer puisse faire la même chose et qu’il puisse continuer, afin que ceci puisse être une fierté pour tout le peuple.
Monsieur le Directeur, depuis une décennie vous organisez le Bac sans fuite. Comment vous vous organisez? Quel est votre secret ?
Lorsque vous parliez de fuite, j’ai eu la chair de poule, parce que c’est le sida de tout examen. Lorsqu’on dit qu’il y a fuite, c’est que vous ne valez rien, vous n’avez rien fait. Et je rends grâce à Dieu. Je remercie tous mes prédécesseurs qui ont eu des difficultés et qui m’ont instruit de ces difficultés là pour qu’il n’y ait pas de problème. C’est vrai s’il n’y a pas eu de fuite, c’est lié à un travail de longue haleine. Vous savez, le baccalauréat, lorsque la période arrive, on laisse la famille, je rentre toujours après tout le monde ; et parfois je passe la nuit ici sans dormir. C’est une petite confidence que je vous fais, lorsque le Bac commence, je passe la nuit du dimanche ici, ainsi que lundi, mardi, mercredi. Le bac dure quatre jours, donc le jeudi, je sais qu’il y a quelques matières, et c’est en ce temps-là que moi-même je commence à me détendre. Et quand on dit fuite ce n’est pas un professeur lambda, c’est le Dob qui répond ! Donc il n’y a pas eu ça et il n’y en aura pas ! C’est un travail de longue haleine. Il faut aimer le travail, Il faut être modeste, Il faut résister à toutes les tentatives et à toutes les tentations. Il faut aimer son pays. Aimer le petit de Gogounou , de Banikoara de Zinvié, qui ne connait personne , qui n’a que sa tête pour travailler, et qui doit réussir ; qui n’a pas de maître d’étude, etc . C’est difficile, mais nous sommes des humains donc nous devons résister. Certains le feront mieux que moi certainement. La vie continue en s’améliorant. Ce que j’ai fait, je souhaite que ceux qui viendront après moi me dépassent. C’est difficile mais c’est faisable.
Monsieur le Directeur, puisque vous nous avez ouvert la brèche des confidences, tantôt vous disiez qu’il faut résister à des pressions, à des tentatives. Pouvez-vous nous faire quelques confidences ? Avez-vous été tenté une fois ?
Si je vous dis que je vais tout vous livrer, je vais mentir. Et si je vous dis que j’ai été tenté, vous allez me demander par qui. Et une fois devant la police ou la justice, on va vous demander mais vous avez dit que vous avez été tenté, dites-nous la vérité. Je ne voudrais pas faire le malheur de certaines personnes. Les tentatives ne sont pas forcément des tentatives venant de personnes. Et d’ailleurs, on est tenté par soi-même ; et c’est la plus grande résistance. Et lorsque vous avez des sujets qui doivent sortir, si vous avez des enfants, des neveux, des cousins, la famille, etc , vous pouvez être amené à être tenté. Mais le Seigneur m’a donné cette force de résister. Parfois, lorsque certains insistent, je me mets à pleurer comme un enfant. Et quand je pleure c’est parce que je ne peux pas. Et c’est ça qui fait que, me référant aux leçons que j’ai reçues au collège Père Aupiais- je rends un grand hommage à ce collège qui m’a formaté- je dis qu’il y a des choses qu’on ne fait pas. Et çà, c’est à mon niveau çà. C’est pourquoi je reviens sur le président de la République qui est le chef de toute la famille du Bénin. Voyez qu’elle est la complexité de son travail, parce que les gens vont lui demander des services importants, et il le fait pour le pays ; donc à notre niveau ici si on le fait pour des enfants, pour l’avenir du pays ; donc il y a des tentations, des tentatives, mais nous avons vaincu ces tentatives. Donc je préfère partir pauvre qu’être enrichi par des choses qui pourraient vous conduire un jour là où vous ne souhaitez pas.
Une de vos réformes phares c’est l’obtention des résultats par les candidats. Tout à l’aise, ils ont leurs résultats. Parents d’élèves et élèves ont applaudi. Mais pour le retrait de leur relevé de note, c’est presque la croix et la bannière. Quelles dispositions prenez-vous pour remédier à cet état de chose ?
Vous avez raison, parce que lorsque le candidat va à l’examen et réussit, tout de suite il veut avoir son relevé de notes, c’est légitime. Nous avons pris des dispositions pour que les relevés de notes soient mis à disposition, avec la complicité positive des DDEPS ( Directeur Départemental de l’Enseignement Supérieur, Ndlr) à qui nous avons remis des lots ; vous savez c’est des gens qui nous ont beaucoup aidés. Mais tout le monde vient le même jour, alors que c’est des chronogrammes que nous mettons en place. Le problème est que tout le monde ne peut pas prendre le même jour, au risque de créer un embouteillage ou même la perte de ces parchemins-là. Depuis quelques années nous essayons de faire en sorte que les relevés soient remis aux candidats dans de bonnes conditions. Nous allons améliorer d’année en année. Vous savez, c’est une fougue lorsque le candidat arrive, de même que les parents ! Tout de suite il veut avoir son relevé de notes .C’est pas possible. Donc c’est ce chronogramme qui nécessite un temps. Il faut contrôler aussi. Un autre ne peut pas prendre le relevé de son frère. Un autre ne peut pas prendre le relevé d’un candidat. Pas du tout. C’est intuitu personae qu’on remet le relevé au candidat. On vérifie sa carte d’identité pour que les gens n’aillent pas contrefaire le relevé. Donc c’est çà qui explique le fait qu’on observe parfois une lenteur.
Beaucoup de bacheliers espèrent leur attestation pour faire des formalités ou entrer dans des universités à étrangers. A quand les attestations, monsieur le Directeur?
Eh oui, vous m’avez porté un pic hein ! C’est le Directeur de l’Office du Bac qui doit signer les attestations, plus de cinquante mille. J’ai un lot par jour qui dépasse le millier. Parfois je suis fatigué et je fais seulement la moitié. Peut-être il faut voir après comment informatiser. Mais le candidat sent son attestation quand on la lui remet et surtout quand c’est signé au Bic, au stylo, par le Directeur de l’Office du Bac. Surtout ceux qui vont faire des études à l’étranger et qui doivent partir parce que c’est déjà pratiquement la rentrée. Pour ceux-là, nous faisons un clin d’œil pour signer avant, pour qu’ils puissent partir. Je dois dire que c’est difficile parce que c’est une seule personne qui signe et c’est le Dob. Peut-être nous allons voir dans nos réformes comment dupliquer. Mais vous savez parfois lorsqu’on dit P.O ce n’est pas la signature originale. Nous allons nous améliorer à ce niveau-là.
Quand est ce qu’on peut espérer ces attestations ?
Dans un mois au plus tard. Je vais tout faire pour signer l’essentiel. J’en ai déjà signé trois mille. Vous savez il y a les courbatures ! (rire) mais si c’est pour le peuple et pour nos enfants, je vais tout faire pour signer ces relevés-là. Surtout que beaucoup vont voyager.
Nous constatons que quand le Dob commence la préparation du baccalauréat, c’est sans répit. Comment arrivez-vous à gérer votre calendrier ?
Eh bien ; je crois que mon histoire personnelle concours à cela. Je suis enseignant, j’ai enseigné à l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (Enam). Et puis j’ai été le secrétaire générale du syndicat de l’enseignement supérieur pendant dix ans. Donc je connais les rouages des relations avec les enseignants, avec les étudiants, dont je suis le parrain. Donc il y a toute cette expérience qui joue.
Est-ce que vous arrivez à vous reposer ? Le Dob se donne-t-il de vacances ?
Vous savez, même pendant les vacances je dois aller à Lomé pour le Bac de l’UEMOA . Tous les Dob peinent un peu de tout ça. A la vieillesse on sent, on sent. Je suis allé voir un de mes amis, ancien Dob, à la maison. Il voulait me servir lui-même coûte que coûte, alors qu’il le faisait avec quelques difficultés. Pour me chahuter, Il me dit, mais c’est comme cela que toi aussi tu seras dans quelques années. (rire). Donc c’est du travail mais il faut le faire pour la République.
Monsieur le Directeur, nous sommes tous flattés par les résultats de cette année qui ont atteint des taux inédits. Mais ailleurs comme en occident, les résultats au Bac atteignent des taux largement plus élevés. Que faut-il faut pour que cette performance connaisse prochainement une amélioration dans notre pays ?
C’est une très bonne question. Vous savez en France, le taux c’est 90% au moins! C’est le pays du baccalauréat quand même ! Mais notre bac est très apprécié aussi. Ce n’est pas le bac français mais c’est quand même un bon bac. Pour atteindre ce taux je dis que c’est tout le système de l’éducation qu’il faut continuer d’améliorer et rendre performant. Et nous avons commencé. J’ai été syndicaliste et secrétaire général du SNES, et on faisait parfois des grèves. Lorsque les revendications sont satisfaites et que l’année est paisible on peut atteindre un taux satisfaisant. Pourquoi avait-on des taux de 20%, 30%, c’est parce que l’année aussi était à 20%, 30% ! Mais depuis trois ans je crois que nous avons des années au moins à 70% ! N’eût été la Covid 19, on aurait peut-être atteint les 70%. Donc il y a tout ça qui fait. On ne peut pas faire comme en France, parce que d’abord c’est le pays du baccalauréat. Mais il faut continuer à aller de l’avant. Voilà ce que je peux vous dire sur cette question. Mais nous allons le faire. Moi-même je ne suis pas éternel, j’aurai un successeur, et après un autre, donc c’est un travail de longue haleine pour notre nation. D’abord faire en sorte que les années soient des années accomplies. Si ce n’est pas à 100%, au moins à 95% ou à 90%. Et là nous auront de bons résultats. Faire en sorte que les enseignants soient motivés et récompensés à bon escient pour le travail qu’ils font, faire en sorte que les parents prennent conscience de ce que leur avenir c’est les enfants. Voilà, au bout de çà nous auront à l’arrivée un beau pays, avec des bacs à un taux vraiment exponentiel, et le développement de ce pays aura un label.
Monsieur le Directeur, bientôt de nouveaux candidats, quels conseils avez-vous à l’endroit de ceux qui passent en classe terminale ?
Ça c’est une très bonne question. Nous sommes encore dans l’euphorie du Bac avec ses réalités, mais il faut déjà commencer à préparer le bac prochain à travers une très bonne rentrée, à travers une très bonne sélection dans les classes où il y a des candidats, et aussi une bonne sélection des séries pour ces candidats ; et aussi que les parents prennent conscience que l’école commence à la maison. C’et à la maison qu’on fait peut-être la moitié de ce qui sera fait à l’école. Ainsi nous auront de bons élèves, bien éduqués, bien formés, et qui iront au baccalauréat sûrement comme si c’était comme un passage. Et notre pays s’en sortira mieux. Je pense que c’est ce que je souhaite, je vous remercie.
Propos recueillis par : E.A.T.
Réalisation : La Rédaction.