(Origines, occidentalisation et vie politique de celle qui a réussi à imposer au Bénin la notion de Première dame)
Rosine Vieyra Soglo, décédée le dimanche 25 juillet 2021 à Cotonou dans sa 87è année des suites d’une courte maladie. Son corps est déposé à la morgue Proci, en attendant l’annonce des dates des obsèques, selon un proche de la famille.
Selon les informations reçues par Les 4 Vérités, Rosine Vieyra Soglo était hospitalisée à la clinique Mahouena à Cotonou depuis trois jours. Elle a bénéficié des soins habituels le matin. Mais ce dimanche, elle aurait demandé à rentrer chez elle. Elle est décédée après son retour à la maison, informe des sources proches de la famille.
Née le 7 mars 1934 à Ouidah, Rosine Soglo n’a pas vécu inutilement. Députée à l’Assemblée nationale de 1999 à 2019, elle est également membre du Parlement panafricain. Épouse de Nicéphore Soglo, elle est Première dame du Bénin entre 1991 et 1996.
Grâce à sa pugnacité, Rosine Soglo a réussi à imposer au Bénin la notion de Première dame. En s’engageant dans la vie politique avec la double casquette de Première dame et de chef de parti politique, Rosine Soglo s’est révélée être un entrepreneur politique atypique. Elle incarne le pouvoir d’un clan (celui des Soglo-Vieyra) qui n’a pas su faire les compromis nécessaires pour conserver le pouvoir ou le reconquérir.
Rosine Soglo est issue d’une famille afro-brésilienne. En 1946, elle se rend en France pour étudier au lycée puis le droit. Elle exerce la profession d’huissière entre 1965 et 1968.
Mariée à l’homme politique Nicéphore Soglo, devenu président de la République du Bénin en 1991, elle créé en 1992 le parti Renaissance du Bénin. En 2004, le parti publie un communiqué encourageant les partisans de son mari à rejoindre ce nouveau mouvement.
En 2007, elle adhère à la coalition Alliance pour une dynamique démocratique (ADD) avec Antoine Idji Kolawolé et Bruno Amoussou. L’ADD se présente aux élections législatives de mars 2007 et obtient 20 sièges de députés.
À la suite des élections législatives d’avril 2011, Rosine Vieyra Soglo devient la présidente de l’ADD. Cependant, lors du scrutin, elle avait rejoint la coalition l’Union fait la Nation, faisant notamment des promesses pour améliorer la qualité du gouvernement ainsi que sur le sujet du logement.
Lors des élections législatives d’avril 2015, elle est réélue députée dans la 16e circonscription sous la bannière de la Renaissance du Bénin7. Doyenne d’âge de l’Assemblée nationale, elle y préside les premiers débats pendant la réunion du 19 mai 2015 avant l’élection du président de l’assemblée.
En 2019, à la faveur de la deuxième session extraordinaire de l’Assemblée nationale, elle décide de mettre un terme à son mandat de députée à cause de sa perte de vision.
Emmanuel Amour T.
Origines, occidentalisation et vie politique de Rosine Vieyra Soglo
10Rosine Soglo est née le 7 mars 1934 dans la famille Vieyra, une famille de la communauté afro-brésilienne?[5][5]Ces familles sont également appelées « aguda » dans les langues… installée à Ouidah (l’ancien comptoir négrier, situé au sud du Bénin sur la côte atlantique). Ces descendants d’anciens esclaves revenus des Amériques faisaient partie de l’élite locale sous la colonisation. Ils constituaient une bourgeoisie de négoce qui avait réussi sa reconversion lors du passage du commerce de « bois d’ébène » à celui de l’huile de palme.
11Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le père de Rosine Vieyra, cadre des chemins de fer et propriétaire terrien, était suffisamment aisé pour permettre à ses quatre enfants (Rosine et ses trois frères) de poursuivre des études secondaires et supérieures en France. Contrairement à la majorité des Béninoises, Rosine Vieyra-Soglo a donc eu un père qui traitait de manière équitable ses enfants, fille comme garçons.
12Arrivée en France en 1946, elle fit la connaissance, l’année suivante, de Nicéphore Soglo quand ils étaient encore tous deux au lycée. Né le 29 novembre 1934 à Lomé (Togo), d’une mère togolaise, celui-ci est issu, par son père, de l’aristocratie de la cour royale d’Abomey. Rosine et Nicéphore se marièrent le 2 juillet 1958 alors qu’ils étaient encore étudiants. Ce mariage est en fait l’union d’enfants de deux « aristocraties » distinctes : l’un bénéficiant de la notoriété d’un passé royal glorieux; l’autre issue d’un groupe social prestigieux avec une assise financière conséquente.
13Les deux époux étaient d’autant plus conscients de leur appartenance à l’élite qu’ils s’étaient aussi dotés d’un capital culturel qui renforçait leur statut de privilégiés. Après le lycée Carnot de Cannes, Nicéphore Soglo fit, à Paris, des études universitaires sanctionnées par plusieurs diplômes en droit et en lettres. En 1962, il sortit diplômé de l’École nationale d’administration (promotion « Albert-Camus ») avec le grade d’inspecteur des finances. Quant à son épouse, après des études secondaires au lycée de jeunes filles de Caen, elle étudia le droit pour devenir huissier de justice, puis avocat.
14La socialisation de Rosine Soglo s’est donc faite en France où elle a effectué ses études et réalisé l’essentiel de sa carrière professionnelle. Elle n’a exercé comme huissier au Bénin que trois ans (1965-1968). Dans les années 1980, elle suivit son époux à Washington lorsqu’il devint administrateur à la Banque mondiale. Ce séjour américain lui a permis de se former en droit anglo-saxon des affaires (elle a pu voir également comment Nancy Reagan s’imposait comme Première dame).
15Sur le plan vestimentaire, Rosine Soglo se distingue par sa tenue très moderne et souvent raffinée. Elle porte rarement des pagnes – ou alors il s’agit de tissus de luxe –, sa préférence allant aux tailleurs habillés dont l’élégance est soulignée par des chapeaux à larges bords. Elle est d’ailleurs surnommée « la dame aux chapeaux » en raison de sa célèbre collection. Son allure quelque peu distante est renforcée par le port de lunettes concaves dû à sa myopie.
16Rosine Soglo fait ainsi partie de la fine fleur de la société béninoise. Pour elle comme pour son époux, leurs origines « nobles » et leur capital culturel et professionnel les prédisposent à l’exercice du pouvoir d’autant qu’ils sont porteurs des valeurs de la modernité occidentale remises au goût du jour après la faillite du régime marxiste-léniniste à la fin des années 1980.
17S’ils jouissent de ces privilèges, Rosine et Nicéphore Soglo, pourtant, ne maîtrisent ni la culture ni la grammaire politique locales en raison de leur long séjour à l’étranger et du manque de passé militant : ils n’ont jamais milité dans les organisations estudiantines ni les mouvements de jeunes de leur temps, le seul engagement que l’on connaisse à Rosine Soglo étant son adhésion, dans les années 1980, en France, au Mouvement contre le racisme et pour l’amitié des peuples (MRAP?[6][6]Voir « À la découverte de nos députés-femmes », L’Amazone, n°…). Ce militantisme tardif et passager n’a pas laissé de traces profondes dans sa vie. Les deux époux n’ont donc pas eu le temps de bien connaître les acteurs politiques, de tisser des réseaux relationnels et de se familiariser avec les mœurs politiques et les imaginaires locaux. Ce handicap se fera sentir dès qu’ils entreront dans l’arène politique béninoise.
Emile A. TOZO (Dans Politique africaine 2004/3 N°95 pages 71 à 90)