C’est l’un des plus grands scandales d’espionnage de la décennie, révélé par une quinzaine de médias internationaux. Au moins 50 000 personnes surveillées par une douzaine d’États grâce à un logiciel israélien. Pegasus permet de prendre le contrôle d’un téléphone, donne accès à l’intégralité du contenu de l’appareil ainsi qu’à son microphone et sa caméra. Parmi les pays utilisateurs : le Maroc.
Selon l’enquête internationale, le service de sécurité marocain utilise même Pegasus de manière systématique contre des journalistes et critiques du pouvoir. En 2020, Amnesty International avait déjà révélé l’infection du téléphone du journaliste d’investigation Omar Radi. Deux jours plus tard, une enquête était ouverte contre lui. Son procès pour « viol » et « espionnage » a lieu actuellement à Casablanca.
Le rédacteur en chef du journal Akhbar al Youm, Taoufik Bouachrine purge, lui, une peine de quinze ans de prison pour viol. Son numéro figure sur la liste de Pegasus ainsi que celui d’au moins cinq plaignantes. Certaines d’entre elles s’étaient d’ailleurs rétractées, affirmant avoir été contraintes de produire de faux témoignages.
D’autres patrons de presse marocains y figurent comme Hamid El-Mahdaoui, créateur du site Badil, et emprisonné depuis 2018 pour sa participation au mouvement social du Rif.
Des journalistes français également espionnés
Les autorités marocaines ont également espionné des journalistes étrangers dont une trentaine de Français.
Le fondateur de Mediapart,Edwy Plenel, a, par exemple, été visé peu après avoir publiquement critiqué la répression policière des manifestations dans le Rif au Maroc. La journaliste du même média, Lenaïg Bredoux, qui a travaillé sur le Maroc, a également été victime de cet espionnage.
Autre cible : Bruno Delport, directeur de la radio TSF Jazz mais aussi président du conseil d’administration de Solidarité Sida, une ONG qui travaille auprès des prostituées au Maroc.
« Un régime fragile… qui doute de lui-même »
Le journaliste indépendant Omar Brouksy, ancien correspondant de l’Agence France-Presse, a été surveillé par Pegasus. Joint par Gaëlle Laleix, du service Afrique de RFI, il déclare avoir été « un petit peu secoué » à la lecture de la liste des personnes surveillées par le logiciel. « Avant moi, il y a des amis comme Omar Radi et d’autres militants comme Fouad Abdelmoumni, qui est un économiste… Je suis en train de lire l’enquête et je suis impressionné par le nombre de personnalités qui ont été la cible de ce logiciel au Maroc et en dehors du Maroc ! C’est assez hallucinant !
Je ne comprends pas pourquoi tout ce gâchis, tous ces moyens utilisés pour espionner des gens, alors que le Maroc est un pays pauvre. C’est un régime frileux, qui ne repose pas sur des institutions solides, qui se méfie de tout et de tout le monde… Donc, pour moi, c’est un régime qui est fragile. Un régime qui s’appuie sur des institutions solides ne pourrait pas recourir à de telles pratiques. C’est un régime qui doute de lui-même ».
Contacté par le projet Pegasus, le Maroc a nié utiliser le logiciel espion. Dans un communiqué, le gouvernement marocain a dénoncé comme « mensongères » les informations selon lesquelles les services de sécurité du royaume « ont infiltré les téléphones de plusieurs personnalités publiques nationales et étrangères et de responsables d’organisations internationales à travers un logiciel informatique. »
La société privée qui commercialise Pegasus est structurellement liée au ministère de la Défense israélien. Mediapart soulève d’ailleurs que l’immense majorité des pays clients ont intensifié leurs relations avec Israël ces dernières années. Mais on ignore encore si les services secrets israéliens profitent de cette technologie et s’ils ont accès aux informations obtenues par d’autres pays. Les enquêteurs promettent, en tout cas, de nouvelles révélations dans les jours à venir.
RFI