« Les besoins de financement en Afrique subsaharienne sont évalués à 290 milliards de dollars pour la période 2020-2023, selon le FMI. Rien ne sera possible sans la mise en place d’une stratégie partenariale globale »
Les pays africains ont payé un lourd tribut économique à la pandémie de Covid-19. La violence de la crise a brisé leur trajectoire d’émergence et a plongé le continent dans la récession, sa première depuis 25 ans. Les progrès enregistrés sur le front du développement humain sont aujourd’hui menacés. Une réponse internationale ambitieuse et coordonnée s’impose. Le Sommet sur le financement des économies africaines, prévu le 18 mai à Paris, vise précisément à trouver les voies et moyens d’une solidarité agissante avec l’Afrique. Il y va de notre intérêt à tous, et cet enjeu concerne au premier chef l’Europe.
Le 15 avril 2020, Emmanuel Macron avait répondu à l’appel lancé par les dirigeants de l’Union Africaine (UA) en soutenant l’idée d’une annulation massive de la dette africaine pour faire face aux défis économiques provoqués par la crise du coronavirus. Tidjane Thiam, Ngozi Okonjo-Iweala, Donald Kaberuka et Trevor Manuel — quatre personnalités désignées par les instances panafricaines pour composer la task force de l’UA — avaient plaidé pour un moratoire sur le service de la dette des pays pauvres.
Appuyée par l’ONU, cette proposition a débouché sur l’initiative ISSD, mise en place par le G20. Ce moratoire sur les intérêts de la dette vient d’être reconduit pour une année supplémentaire. Il a permis de soulager, momentanément, les budgets des Etats africains, en leur offrant des marges de manœuvre pour parer aux conséquences sanitaires et économiques de la pandémie. Mais il ne suffira malheureusement pas.
Dettes. L’allègement ou l’annulation des dettes africaines seront des options discutées lors du Sommet du 18 mai. En théorie, elles n’ont rien d’impraticable. La dette publique africaine représente environ 365 milliards de dollars, soit seulement 2 % du stock mondial de dette. La piste mériterait d’être explorée, mais l’absence de consensus international sur le sujet risque de compromettre de réelles avancées. A fortiori, l’annulation des dettes publiques, bi et multilatérales, ne résoudrait en rien le problème de la dette intérieure, autrement plus importante, souscrite à des conditions souvent moins favorables.
Alors, comment faire pour donner la possibilité aux pays africains d’une relance massive de leurs économies ? D’autres moyens de financement doivent être envisagés. En avril 2020, 18 chefs d’Etat africains et européens avaient exhorté le Fonds monétaire international (FMI) à procéder à l’émission de Droits de tirages spéciaux (DTS) au profit de l’Afrique. A condition qu’ils soient bien utilisés, ces DTS pourraient constituer un stimulus puissant pour une relance synchronisée.
« Il ne pourra y avoir de réduction de la pauvreté sans création massive d’emplois, et cela, seul le secteur privé est en capacité de le faire. Or, il a été jusqu’à présent le grand oublié des plans de relance africains »
Rappelons qu’en 2009, près de 200 milliards de DTS avaient été accordés après la crise financière mondiale. La gravité de la situation actuelle et l’ampleur des besoins sanitaires et économiques justifieraient largement le versement du double de ce montant, à l’échelle mondiale. Pour les pays africains, le stimulus pourrait représenter jusqu’à 46 milliards de dollars, soit plus de trois fois le montant du moratoire décidé dans le cadre de l’ISSD. Un pays comme le Sénégal vient d’ailleurs d’obtenir du FMI un financement de 453 millions de DTS, soit 650 millions de dollars.
Les besoins de financement en Afrique subsaharienne sont évalués à 290 milliards de dollars pour la période 2020-2023, selon le FMI. Rien ne sera possible sans la mise en place d’une stratégie partenariale globale, incluant l’ensemble des acteurs, qu’il s’agisse des partenaires et des bailleurs fonds, des Etats africains eux-mêmes, des investisseurs et des sociétés civiles.
Diasporas. On ne le dit pas assez : il ne pourra y avoir de réduction de la pauvreté sans création massive d’emplois, et cela, seul le secteur privé est en capacité de le faire. Or, il a été jusqu’à présent le grand oublié des plans de relance africains. Les entreprises ont fortement contribué à la résilience du continent. Elles doivent être appuyées et renforcées, et des dispositifs leur permettant de capter de nouveaux flux de financement doivent être imaginés. Cette question cruciale sera bien entendu à l’ordre du jour du Sommet de Paris.
Dans ce contexte, l’implication des diasporas africaines est essentielle. Dans bien des pays, les transferts de fonds de la diaspora représentent désormais des montants équivalents ou même supérieurs à ceux de l’aide publique au développement. La Banque mondiale estime à une cinquantaine de milliards de dollars la part captée par les économies d’Afrique subsaharienne. Mais cette manne est trop peu dirigée vers le secteur privé et l’investissement productif. La sécurisation et la rationalisation du cadre de ces transferts de fonds permettraient d’augmenter leur volume, et d’en faire un levier du développement économique de l’Afrique. Certains Etats se sont déjà penchés sur le sujet. Par exemple, le Maroc met actuellement en place une nouvelle plateforme destinée aux investisseurs de la diaspora.
Alors que la France vient de prendre l’engagement historique d’allouer 0,7 % de son PNB à l’aide publique au développement, la redéfinition des plans de financement des économies africaines est une ardente obligation. Les nouvelles stratégies à imaginer doivent être partenariales et innovantes pour prétendre avoir un impact durable sur le continent. Le Sommet du 18 mai organisé sous l’égide de la France sera le lieu pour prendre des engagements concrets et ambitieux. Il peut être l’occasion de sceller enfin un véritable « New Deal » avec l’Afrique.
Patrice Anato, député de Seine-Saint-Denis (LREM) In L’opinion