A l’issue de trois jours de discussions, la charte de transition a été présentée ce samedi 12 septembre au soir à Bamako. Le Mouvement du 5-Juin (M5) qui a mené la contestation contre le président Ibrahim Boubacar Keïta au Mali, a d’ores et déjà rejeté cette charte de transition soutenue par la junte.
Le texte adopté ce samedi 12 septembre à Bamako fixe la durée de la transition à 18 mois et charge un comité formé par la junte de désigner un président civil ou militaire pour diriger cette transition.
Il prévoit aussi trois organes de transition : le président et son vice-président ; le conseil national de transition regroupant 121 personnes réparties entre les forces de défense et de sécurité, le M5 (coalition de l’opposition), les partis politiques, les journalistes, la société civile, les religieux, la diaspora, les jeunes et les femmes et qui aura les prérogatives d’une assemblée; et enfin un Premier ministre à la tête d’un gouvernement de 25 membres.
L’article 19 de la charte concerne particulièrement la junte et ceux qui ont participé aux événements, allant du 18 août, date du coup d’État, à l’investiture du président de transition. Cet article stipule qu’ils bénéficient tous de l’immunité juridictionnelle. Ils ne pourront donc pas être poursuivis ou arrêtés pour des actes posés lors desdits évènements – rappelons que selon la Constitution malienne, le coup d’État est un crime imprescriptible.
Le rapporteur de la réunion désigné par la junte assure que le document est adopté de facto par acclamation. Le chef de la junte, le colonel Assimi Goïta, s’est félicité des travaux lors de son discours de clôture.
Cheick Oumar Diallo (ADP-Maliba) : « Les militaires feront les bons choix »
Le parti Alliance démocratique pour la paix (ADP-Maliba) qui a claqué la porte de l’ancienne majorité peu avant la chute de l’ex-président Ibrahim Boubacar Keïta a participé aux travaux. Pour Cheick Oumar Diallo, du parti ADP-Maliba, « les concertations nationales se sont déroulées dans une ambiance, certes tendue à certains moments, mais franche et sereine, qui nous ont permis aujourd’hui de pouvoir dégager les grands axes de cette transition, mais aussi de pouvoir avoir un minimum de compromis autour des organes de cette transition. »
« Nous, poursuit Cheick Oumar Diallo, nous étions d’entrée de jeu convaincus que le choix du président et, bien évidemment, du vice-président de la transition ne pouvaient revenir qu’au CNSP parce qu’aucun acteur malien ne réussirait à rassembler l’ensemble des forces vives et convenir d’un choix. Et donc, le fait que les militaires aujourd’hui aient cette responsabilité-là est quelque chose qui nous paraît totalement logique. Nous savons qu’ils sont conscients de l’ensemble des enjeux autour de cette question et qu’ils feront donc les bons choix. »
Le M5 n’adhère pas à la charte
A l’inverse, des responsables du mouvement de contestation M5 ont fait entendre leurs critiques. Ce n’est pas encore la rupture définitive entre la junte et le M5. Mais comme le dit Choguel Maïga, président du comité stratégique du Mouvement du 5 juin RFP, c’est un « coup de semonce », une mise en garde aux militaires pour qu’ils revoient leur copie. La charte rendue publique après les journées de concertations « ne reflète pas les points de vue et les décisions du peuple malien », précise un communiqué officiel du M5 qui fourmille de détails.
Par exemple, au lieu d’un civil ou un militaire à la tête de la transition, le choix majoritaire lors des concertations est d’avoir un civil, selon le M5. Même chose pour le Premier ministre poursuit le document. Il y a des rajouts à la charte qui n’ont pas été soumis à débats, ainsi que la non-prise en compte de manière unilatérale de nombreux points. En conséquence, le M5-RFP dénonce ce qu’il appelle les « intimidations, les pratiques antidémocratiques et déloyales dignes d’une autre époque contre lesquelles la lutte pour le changement et la refondation a été enclenchée ». Le M5 enfonce le clou : selon lui, la junte a une volonté d’accaparement et de confiscation du pouvoir à son seul profil.
« Ce n’est pas démocratique du tout. Le rapport général a été charcuté et ne correspond pas à ce qui a été dit dans les groupes de travail », a ainsi reproché Sy Kadiatou Sow, grande figure du mouvement démocratique. Dénonçant une « volonté du CNSP de confisquer le pouvoir », l’ancienne gouverneure de Bamako et ex-ministre a déclaré : « Nous n’adhérons pas à cette charte. »
Pour sa part, l’ancien Premier ministre Moussa Mara pointe « des faiblesses dans la charte, c’est incontestable », mais « il y a un minimum pour commencer », estime-t-il par ailleurs. Parmi ces faiblesses, il relève le problème de « la relation avec la Constitution de 1992 ». « On semble maintenir, compléter la Constitution alors qu’il y a des éléments dans la charte qui la contredisent », explique-t-il. Il est également sceptique sur « la notion de vice-président et ses rapports avec le président de transition ». Autre faiblesse, selon lui : « le collège pour choisir le président, dont on ne connaît pas le contenu et le conseil de transition, dont la répartition des sièges n’est pas indiquée ». Autant d’éléments, estime-t-il, qui peuvent « créer des difficultés entre les participants ».
Autre réaction, celle par exemple de l’ASMA, le parti de l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga. Certains le disent intéressé par la présidence de la transition. Dans une communiqué officiel, celui que l’on appelle ici par ses initiales (SBM) affirme avoir pris acte de la tenue des concertations nationales.
Première priorité, la sécurité
Durant trois jours, au centre national de conférences de Bamako, les débats furent denses, parfois houleux. Mais pour les participants, la question sécuritaire a fait consensus. Selon Harouna Toureh, le porte-parole de la Plateforme, l’un des mouvement signataire des accords de paix d’Alger, il y a urgence pour le pays : « La première priorité, c’est la sécurité. C’est la stabilisation de ce pays qui ne connaît que la guerre et la violence, au nord, au centre et un peu partout. Donc, ce serait notre premier combat, de pacifier ce pays. »
Également érigées en priorités, la promotion de la bonne gouvernance, la refondation d’un système éducatif, les réformes politiques et institutionnelles dont la réforme de la Constitution. Pour Habib Sylla, président du Haut conseil des Maliens de l’extérieur, cela ne se fera pas sans la diaspora : « Puisque que nous sommes près du tiers de la population du Mali à l’extérieur, il faudrait désormais que l’on soit des acteurs, pas des spectateurs pour pouvoir défendre les intérêts de ces nombreux compatriotes qui, chaque jour, participent au développement économique social et même culturel d’autres pays. »
Des chantiers qui doivent être menés en 18 mois à compter de la désignation d’un président de la transition et qui s’achèveraient par l’organisation d’élections.