La tribune M. Agbéyomé KODJO, Ancien Premier Ministre sur le processus

Afrique

Lomé a abrité les 15 et 16 avril 2014, un Séminaire national sur le lancement du processus d’élaboration de la vision Togo 2030. Voici la tribune M. Agbéyomé KODJO, Ancien Premier Ministre sur le processus.

« Il me plaît tout particulièrement, d’associer ma voix, à toutes celles qui ici ou ailleurs, ont précédé la mienne. À leur instar, je voudrais exprimer ma pleineadmiration et adresser mes félicitations au Professeur Noubukpo, qui au nom du Gouvernement et sous l’inspiration du Chef de l’État, porte cette initiative louable de définition d’une vision partagée de notre pays à l’horizon 2030.

Il n’est de vent favorable disait Sénèque pour celui qui ne sait où il va.En ma qualité d’ancien responsable de l’autorité portuaire dans une autre vie, je dirais : il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où est le Port.

En termes de prospective globale : Dans quel Togo voulons-nous vivre à l’horizon 2030 ? Nous voilà au cœur du débat.

La prospective est la démarche qui vise, dans une perspective absolue à se préparer aujourd’hui à demain.

Elle ne consiste pas à prévoir l’avenir mais à élaborer des scénarios possibles dans leurs perceptions du moment sur la base d’analyse et d’évaluation des données disponibles à savoir : (états des lieux, capacités économiques, ressources humaines, émergences, etc…).

La fonction première de la prospective vise à synthétiser les risques et à offrir des visions temporelles en tant qu’aide à la décision stratégique, tant en matière économique, sociétale que politique.

La prospective n’est-elle pas une démarche continue ? Car pour être efficace, elle doit être itérative et se fonder sur des successions d’ajustements et de corrections dans le temps, notamment parce que la prise en compte de la prospective par les décideurs politiques et les différents acteurs de la société modifie elle-même sans cesse le futur qui est tout sauf prévisible.

UN PASSÉ DOULOUREUX, soumis à plusieurs thérapies avec plus ou moins de réussite.

S’agissant de notre Nation le Togo en 2014. Elle constitue un petit pays de 56.600 km2 situé dans le golfe de guinée, avec une population de moins de six millions d’âmes.

Notre pays le Togo est la croisée des chemins.

La marche en avant vers une modernité économique pleine de promesses se trouve entravée par des conflits politiques récurrents qui raidissent notre envol.

La question de la modernité économique est au cœur de la séquence historique que nous vivons depuis 2006 car après les performances sujettes à caution des quarante premières années post indépendance, il devient urgent de donner un souffle nouveau à une économie exsangue qui n’en finit pas de produire de la pauvreté.

En ce sens, la modernité dans la gestion de la chose publique renvoie non seulement à l’assimilation de pratiques plus scrupuleuses mais aussi à de nouveaux modes de gouvernance économique : lutte contre la corruption, transparence dans la gestion des ressources publiques, réforme administrative, rationalisation des procédures douanières et fiscales, etc.

En dépit de l’amélioration récente de la situation économique dans son ensemble, leTogo éprouve incontestablement des difficultés à stabiliser sa situation sur le front politique.

Un tel diagnostic résumeobjectivementla trajectoire de notre pays dans un monde où les changements politiques et sociaux se sont amplifiés. Le continent africain ne saurait demeurer à la marge de ces évolutions.

Qu’est ce qui explique la surdétermination du fait politique au Togo ?

Sommes-nous en présence d’un passé colonial mal soldé ?

Des forces extérieures interfèrent-elles dans l’aménagement des rapports politiques au Togo ?

Voilà autant d’hypothèses de travail qui serviront à guider notre réflexion et à proposer des mesures spécifiques en vue de faire évoluer les mentalités vers la compréhension des bienfaits de, ladémocratie politique, comme un instrument de réalisation civique des citoyens qui possèderont à l’égard du pouvoir un droit de participation à la vie publique (vote) et un droit de contestation (liberté d’opposition).

Tout basculement idéologique et culturel requiert une nouvelle vision

UNE NOUVELLE VISION

Définir une nouvelle vision de l’avenir pour le Togo, c’est projeter dans le temps et dans l’espace sa configuration ethno politique actuelle,dans ses différentes composantes ; c’est définir sa place dans la sous-région et en Afrique. C’est également s’inscrire dans une dynamique d’intégration africaine puissante, respectée, unie et compétitive.
L’avenir, c’est aussi la définition dans le cadre de l’intégration africaine, de nos rapports avec les autres pays africains ; c’est notre capacité à positionner notre pays comme vecteur d’impulsion de la modernité et à assumer un rôle moteur dans l’émergence d’une Afrique nouvelle.
Une telle ambition ne peut faire l’économie des nouveaux paradigmes qui gouvernent aujourd’hui le progrès des Nations modernes et compétitives.
Les nouveaux paradigmes vers lesquels notre pays le Togo doit tendre nous invitent à prendre conscience du caractèrefrappé d’obsolescence de nos modèles, à faire preuvede clairvoyance dans nos choix et à rompre avec les fausses certitudes. Bannir les décisions hâtives, c’est aider le Togo à accéder à un monde d’efficacité empreinte de responsabilité.

Au plan de la méthode, la définition d’une nouvelle vision doit obéir à des règles simples. Elle doit à la fois être (i) pragmatique et ambitieuse ; (ii) inclusive, c’est-à-dire associer toutes les couches sociales de notre pays, (iii) participative, c’est-à-dire reposer sur des propositions émanant de tous les corps sociaux, (iv) globale c’est-à-dire embrasser tout le champ du possible ; (v) elle doit tirée fondement d’une conception de la gouvernance politique, sociétale et économique qui intègre toutes les données d’analyses

L’importance des valeurs

Cette vision doit reposer sur des valeurs morales et citoyennes. Porter la marque d’un togolais de type nouveau décomplexé et qui s’assume, constituera une fierté. Être à la proue d’un leadership régional sera un objectif. Insuffler dans la vie entrepreneuriale au Togo toutes les facilitations ouvrant voie à une économie restructurée autour du secteur tertiaire sera un gage de désir d’avenir.
Dans la construction d’une nation moderne, les valeurs morales et citoyennes occupent une place de choix ; elles donnent un sens aux rapports sociaux car elles conditionnent les comportements des individus et des groupes sociaux. En assumant le choix de la forme républicaine de l’État, nous actons concomitamment notre engagement à faire des valeurs républicaines le guide de l’action politique.

La République, c’est le souci constant de l’intérêt général, du mérite et de la probité La République est fondée sur la recherche de l’équité, gage de paix et de concorde ; elle fait appel à la solidarité vis-à-vis des plus faibles pour le renforcement de la cohésion sociale. Elle est protectrice des libertés individuelles et collectives autant qu’elle autorise le droit à la sûreté et à la sécurité. Elle ne saurait négliger le droit à l’emploi, à l’éducation et à la santé sans lesquelles la citoyenneté serait un vain mot.

Assurer au Togo un leadership régional et un rôle moteur en Afrique

De nombreux atouts nous invitent à construire un leadership régional : le Port Autonome de Lomé, est le seul port en eau profonde de la sous-région ouest africaine et qui se modernise en empruntant le modèle Singapourien aux fins d’accueillir des navires de nouvelle génération, et ainsi devenir une véritable plaque de transbordement des containers, un Gateway pour les pays de l’hinterland.

S’agissant de la qualité de nos infrastructures de communication, de notre système éducatif et sanitaire, à dire vrai, elle nécessite des améliorations substantielles. S’agissant de nos ressources minières et dela quête d’identification de gisements d’hydrocarbures des atouts naturels et géographiques prédisposent notre pays le Togo à fonder de légitimes espoirs.

Sans doute faudra-t-il dans ce challenge compter avec la Côte d’Ivoire et le Nigeria, mais rien ne saurait nous empêcher de positionner notre pays comme l’inspirateur principal des transformations économiques, politiques et culturelles de notre sous-région.

À cet égard, notre pays, le Togo, doit ambitionner de reconquérir la place qui fut la sienne de centre de grandes rencontres internationales. Notre pays, le Togo, peut valablement aspirer, à mettre la matière grise au centre de notre influence en Afrique par la création d’institutions de recherche et de formation dans des filières de haute technologie.

La restructuration de l’économie autour du secteur tertiaire

Le secteur tertiaire est un secteur à forte valeur ajoutée dont le délai d’amortissement des investissements est plus court que dans les secteurs primaire et secondaire, c’est un secteur fortement créateur d’emplois ; c’est un secteur dominé par l’immatériel, notamment la production et la diffusion de l’information dont la demande mondiale progresse à une vitesse élevée ;c’est un secteur dont la part en valeur dans l’économie mondiale ne cesse de progresser après avoir doublé au cours des années 80 et 90 ;c’est un secteur qui offre des possibilités de développement illimitées, notamment dans le domaine des services des télécommunications.

L’accumulation du capital à partir du secteur tertiaire comme une étape transitoire vers l’industrialisation à l’échelle du continent africain devra reposer sur l’amélioration de l’attractivité de notre pays par le jeu de la délocalisation dans les domaines porteurs:

Pour ce faire il paraît utile de prendre des mesures d’accompagnement dans différents secteurs et mobiliser des moyens internes et externes à cet effet selon les axes suivants :

(i) Formation des ressources humaines

Dans ce domaine, un vaste programme de réformes de l’enseignement sera nécessaire, notamment dans l’enseignement technique supérieur et de la formation professionnelle afin de développer les filières qui répondent aux besoins nouveaux de l’économie togolaise.

(ii)Promotion des investissements directs étrangers

Il sera opportun d’ouvrir totalement notre pays sur l’extérieur en offrant aux entreprises étrangères les meilleures conditions d’implantation.

(iii) Aménagement urbain

L’économie des services est essentiellement urbaine. C’est pourquoi, devra être mis en œuvre un programme de développement urbain pour la ville de Lomé et les villes secondaires des cinq régions économiques. En 2025, la population urbaine représentera 65% de la population totale. Il deviendra dès lors, fondamental de moderniser l’équipement urbain, notamment l’eau potable, l’électricité, l’assainissement, les rues, les équipements collectifs et rationaliser l’occupation de l’espace. Cette politique requiert des réformes fiscales et foncières en vue d’améliorer l’implantation de grandes sociétés.L’amélioration de la décentralisation municipale en vue de permettre aux mairies de jouir de l’autonomie administrative et financière et de gérer les besoins quotidiens des populations deviendra incontournable.

(iv)Réformes fiscales dans le sens de la diminution des taxes et impôts divers en vue de stimuler l’activité économique,

(v)Réformes administratives (simplifications des procédures administratives, visas, laissez passer, passeports, sécurité urbaine, accueil aux frontières et dans les aéroports)

(vi)-Développement de l’infrastructure de communication (Routes, héliports, Port autonome de Lomé avec possibilité d’en faire un port à valeur ajoutée, et un aéroport à valeur ajoutée, construction de nouveaux aéroports et extension de la ville de Lomé

(vii)Développement des infrastructures sanitaires et sportives

(viii) mobilisation des moyens de la coopération bilatérale et multilatérale, des organisations sous régionales, des institutions financières africaines pour la modernisation du pays.

Il conviendra d’approfondir le caractère libéral de notre économie et de la renforcer par deux grands moteurs : la révolution scientifique et technologique (la substance du monde) qui nous donnera le pouvoir sur les choses (industrialisation) et changera notre rapport au monde (compétitivité), et le développement du secteur tertiaire (l’accumulation du capital) en raison des atouts de notre pays et des opportunités inouïes offertes par la mondialisation.

Le Togo de demain naîtra de la volonté de nous tous, et de notre capacité à taire nos vieilles querelles, pour nous tourner résolument vers l’avenir.Tirons leçons des peuples qui ont rebondi face au déclin en donnant force à la loi, au travail bien fait, à l’intérêt général et à l’éthique !

Il n’y a de présent ni d’avenir commun sans une reconnaissance de l’Autre, c’est-à-dire, l’Autre soi-même, dans sa dignité, dans son ipséité. La négation de l’Autre, réelle, affectée oufeinte, est toujours génératrice de tensions.

Je souhaite plein succès aux travaux de ce séminaire de lancement du processus de l’élaboration de la vision Togo 2030 qui est un véritable défi. Sommes-nous capables de le relever ? Pour ma part, j’estime qu’assurément nous le pouvons.

Je vous remercie ».